Le neuvième livre de Pierre Parlant est un petit volume jaune, couleur Pastis 51, relevé d’un titre olive assez intrigant : ce Précis de nos marqueurs mobiles l’est d’autant plus que le sujet principal du livre est tout simplement manquant et remplacé par huit points de suspension. Seul indice, le sujet est féminin singulier. Il aura à se conjuguer ainsi et selon cette pente prédicative, on pourra bien essayer d’y faire entrer pas mal de mots, comme cuisine, fleur ou maçonnerie et tester : « commençons par remarquer que la……. [cuisine ; fleur ; maçonnerie] compose bel et bien mais ne présuppose jamais l’ordre éventuel qui sera le sien ; mieux il n’y a pour elle de composition véritable qu’à la condition d’un désordre que la……. [cuisine ; fleur ; maçonnerie] d’emblée consent à breveter ; elle trouve là son pied d’appel, elle y inscrit sa marque, son talon digne si l’on veut ». Bien sûr le mot que l’on voit bien glisser entre ces points de suspension se révèle vite, négatif flashant dans son plus simple appareil. Devinez (c’est gagné), la poésie est partout et se conjugue, selon qu’elle se comprenne comme « art du langage », se décline en vers, en prose, se compose de pieds, de mètres, trouve son rythme en enjambant, en rejetant, en coupant, en filant, s’entende comme manière propre d’un poète. Mais jamais poésie, ici, ne devient l’aptitude de quelqu’un, ni l’attribut de quoi que ce soit (un paysage par exemple). Son emploi, et le contour de ce qui fait l’acte de l’écrire, y est très rigoureux, défini comme un participe présent, et mâtiné d’un savant mélange de rapprochements joueurs, curvés à même l’outil que deviendra ce bizarre art de tuyauterie poétique : car « souvent on reconnaît la……. au fait qu’elle tord son lainage comme pas deux ; la……. a une odeur ; sueur de……., osera-t-on, doublure ? sous vernis simple ? ; jamais de la vie, vous entendez, aucune……. ne se venge ; un livre n’est qu’une commodité ; quel jour est-on ? demande-t-elle simplement ; c’est ça, quel jour est-on ? dans cet état, dans une époque à vis, dans l’ère à nous, un peu recrue, nouée, la……. titube forcément ». De là qu’elle plie ses tubes, en fasse des huit, il n’y a qu’un pas que ce petit essai de poétique revigorant franchit, branchant toute la secrète mécanique d’existence de la poésie aux expériences (sensibles, mentales, pensantes, intuitives, sentimentales et naïves) qui la soutiennent en la renvoyant à sa nécessité.
De Prose bâtée (1999) en passant au récent Modèle-habitacle (2003), qui habille un poème-de-mémoires en le développant à partir du rappel inductif de manteaux (« Le manteau de Francis Ponge sur le front de mer à Nice en 1961 », etc.), Le Rapport signal-bruit ressemble, lui, à un « poème-phoné », étant passé, selon le mot de l’auteur, de « l’atelier au car-studio », puisque « poésie », ici, s’apparente à « une affaire de bande-son, un trafic de bandeau sous le rapport d’un signal-bruit ». Au travers de formes aussi différentes que le carré condensé de prose, le vers fer à gauche court et syncopé, les quatrains de proses coupées, et dans une forme de poésie pensante aussi singulière que celle de Philippe Beck, Le Rapport signal-bruit affronte, jusqu’à y inclure ses propres hermétismes, l’époque sévère, traque, dans les références qui sont les siennes (Lenz, Mandelstam, Celan, etc.) les questions qui nous reviennent, à l’exemple de ce très fort passage : « Quelque/ part, en raison du mauvais temps incessant,/ le poème est en guerre La guerre est sa raison/ C’était aussi l’idée d’Ossip, n’est-ce pas/ je ne sais pas mais me demande Non,/ finalement, le poème n’est pas en guerre,/ il est un peu trop dur pour ça Le Poème/ n’est pas en guerre, le poème est à la ville/ tout entière un ventre ordinairement noir/ de cheval lui-même monté sur roues crantées » (…), mais le poème n’a pas pour autant « le choix d’une paix prototype ». Tout se composant alors d’une « souvenance » où d’un rapport sans repos. Voilà la poésie, et celle de Pierre Parlant y a trouvé, sans aucun doute, son centre de recherche.
Pierre Parlant
Précis de nos
marqueurs
mobiles
L’Attente, « Spoom »
28 pages, 5 €
Le Rapport
signal-bruit
Le Bleu du ciel
112 pages, 14 €
Poésie L’entrée du Parlant
septembre 2006 | Le Matricule des Anges n°76
| par
Emmanuel Laugier
Les nouveaux livres de Pierre Parlant sont des leçons de poétiques revigorantes, des dérives durement interrogatrices de l’acte d’écriture… face à l’époque.
Des livres
L’entrée du Parlant
Par
Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°76
, septembre 2006.