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Domaine étranger Épopée subversive

juin 2006 | Le Matricule des Anges n°74 | par Lucie Clair

Quand une légende se déploie au rythme des heurts de civilisation et des difficultés domestiques dans une Chine futuriste aux accents shakespeariens.

Grande île des tortues-cochons

Chanteuse de jazz réputée elle fut la seule artiste chinoise invitée au Festival international de jazz de la Nouvelle-Orléans, compositrice éclectique affichant huit albums qui marient avec bonheur blues, rock, musique traditionnelle chinoise, et classique, librettiste et interprète principale d’un opéra donné à Berlin en création mondiale ce mois de mai 2006, écrivain c’est son sixième roman Liu Sola (1955) n’avait jusque-là pas encore été traduite en français. La Grande Île des tortues-cochons est un roman à clefs subversif, affichant le goût de l’auteur pour le contre-pied puisé dans une histoire personnelle peu commune : issue d’une famille de hauts dignitaires communistes érudits son oncle est un martyr de l’Armée Rouge qui subit les revers de la Révolution culturelle et connut les camps, Liu Sola fut, avec son groupe rock, une icône dite « hippie » de la Chine des années 1980, et a toujours su, quel que soit son domaine d’expression, tirer du poids du passé une vision tranchante et poétique car pour elle, « l’Histoire ne se dit pas à la légère ». À cet égard, et en dépit de son apparence de fresque loufoque où fureur et folie cohabitent sous une plume enlevée et un style dépouillé, le roman de Liu Sola dédié à son père, fidèle maoïste désavoué par sa fille et par l’Histoire ouvre la voie à une lecture multiple et, au sens surréaliste du terme, merveilleuse. Ce d’autant plus que le texte est servi par une maîtrise sans faille des genres littéraires classiques chinois, parodiés et détournés pour accéder à une nouvelle vie humoristique et inattendue.
Tout commence dans la nuit des temps. « En l’an 2100 de notre ère, la civilisation moderne a été anéantie par une météorite tombée du ciel. Les cultures d’autrefois, par chance, ont été préservées, et si l’humanité a dû tout recommencer, elle n’a pas eu à repartir de zéro. » En l’an 4000, le Christ a déjà ressuscité en Israël et la tribu nomade des Tsidehou, partie en quête de Dieu, rencontre à sa place l’empereur de Chine qui lui octroie une île perdue dans la brume. Sous le nouveau patronyme glorieux des « Ji », ils s’installent près du lac où séjournent les tortues-cochons, étranges reliquats de la légende d’une femme éplorée par la perte de son mari, que le génie des Eaux prit en pitié avec ses huit enfants. Peuple débonnaire, les Tsidehou oublient leur quête et leur identité originaires, érigent un temple à la gloire de la tortue-cochon immortelle, et accueillent les vagues successives d’immigrants fuyant les guerres du continent, qu’il s’agisse de John, missionnaire britannique brandissant son crucifix, ou une diaspora de lettrés confucianistes aux ambitions dirigistes héritées des Han, qui ne manquent pas de rompre l’équilibre de ce petit paradis excentré. Ji He est l’héritier de cette légende, et lorsqu’il naît chez un vieil érudit bouddhiste, la visite des créatures mythiques signe la prophétie d’une destinée exceptionnelle qui s’ouvre par la rivalité de sa famille avec celle des Zhang, « lettrés de la capitale ». Le poids de l’oracle ou de la réputation est tel que leurs descendants sont emportés par la tourmente, dans une époque saturée d’idéologies où « on ne distingue plus le bien du mal ». La saga des Ji, protégés par le fantôme d’une jeune disparue et l’ombre tutélaire des tortues-cochons s’inscrit près du « pic des Femmes », lieu de mystères et de magie. Chaque rejeton épouse les soubresauts de l’Histoire herboriste, poète, chefs de guerre, membres du « parti de l’Unité (qui) guide le monde vers la lumière », ce dernier, croqué avec une ironie mordante et douloureuse finit par les avaler tous. À leurs côtés, des femmes aux attributs fantastiques, panthère, musicienne, militante, figures aux accents féministes « naître femme, là est l’injustice » sont les témoins tendres, lucides et délurés des ravages de la foi chez l’homme.
Par le truchement de ces voix abritant l’amour comme quintessence de l’Humanité, Liu Sola signe un livre d’une grande liberté dont la pleine mesure se révèle de manière poignante dans la déchirure autobiographique des dernières pages.

La Grande Île des tortues-cochons
Liu Sola
Traduit du chinois
par Sylvie Gentil
Seuil
268 pages, 20

Épopée subversive Par Lucie Clair
Le Matricule des Anges n°74 , juin 2006.
LMDA PDF n°74
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