Derrière les histoires de groupes à succès, qu’ils officient dans le rock’n roll, les affaires ou le grand banditisme, il n’est pas rare que l’on trouve un personnage qui en plus d’être un artiste dans son domaine, soit doté d’un grand talent de visionnaire. Là où la plupart se contenteraient d’un succès ponctuel et de bénéfices immédiats, eux voient grand et loin. Le Libanais est de ceux-là. Avec ses copains, tous très jeunes, le Dandy, le Froid, le Buffle et les autres, il vient de réussir leur premier coup : l’enlèvement d’un baron et financier romain, pourvoyeur d’une rançon de deux milliards et demi de lires. Mais pas question de se contenter de partager et de dilapider cette manne. Il y a mieux à faire : rester unis et se payer Rome, c’est-à-dire contrôler la drogue, le jeu et la prostitution de la capitale. Les plus clairvoyants, tels le Froid, se rangent derrière cette idée lumineuse : « Si on divise l’argent, il est plus bon à rien. Si on se divise, on est plus bons à rien. Tu m’as convaincu, Libanais. Part égale pour tous et le reste au fond commun. » Les récalcitrants seront les uns après les autres « effacés ».
Voilà donc le ciment de cette bande de gangsters à la fois artisans minutieux du flingue et gestionnaires avisés d’un patrimoine en expansion constante qui ont officié à Rome entre 1978 et 1992 et dont Giancarlo de Cataldo, magistrat et écrivain conte l’histoire dans ce gros roman. Il s’inspire pour cela d’une association véritable, « la bande de la Magliana » dont il a, dans le cadre de ses activités professionnelles, côtoyé certains membres.
Dandy, Buffle, Froid, Noir, Libanais, Échalas, Sec, Ricotta, Crapaud, Rat, Œil Fier, Terrible, Trentedeniers… On devine qu’avec une onomastique aussi pittoresque que signifiante, l’auteur n’a pas lésiné sur les moyens pour animer sa galerie de personnages hauts en couleur. La plupart tiennent plutôt bien la distance de ces presque six cents pages. Ils restent à la fois eux-mêmes et évoluent au fil des accidents de parcours de l’entreprise criminelle.
La trame politique, celle des « années de plomb » est plutôt bien traitée, ponctuée par les épisodes pour la plupart sanglants qui secouent le pays. Lorsque la bande entre en scène en 1977, l’assassinat de Pasolini est dans toutes les mémoires. En particulier dans celle du jeune Ricotta, l’un des lieutenants du Libanais, qui « quand il était gamin avait fait quelques incursions au pays des tantouzes. On disait que c’était P.P.P. en personne qui lui avait appris à lire et à écrire. » En 1978, avec l’enlèvement et la mort du chef de la démocratie chrétienne, Aldo Moro, les autorités concentrent tous les moyens sur la lutte contre le terrorisme rouge. Les meurtres commis par le milieu suscitent moins d’intérêt. La bande du Libanais monte alors en puissance. Elle sera même sollicitée par la police pour l’aider à localiser la planque des brigadistes. Deux ans plus tard, une bombe explose dans la gare de Bologne. Le carnage,...
Événement & Grand Fonds Les neveux flingueurs
En racontant l’histoire d’une bande de jeunes gangsters ambitieux qui ont contrôlé le crime à Rome pendant plus de dix ans, Giancarlo de Cataldo dessine quelques-unes des relations souterraines tissées avec le pouvoir d’État dans une des périodes troubles de l’histoire italienne récente.