Il aura mis beaucoup de temps à se décider. Mais quand il part pour Bruxelles en 1864, c’est pour six semaines : il y restera plus de huit cents jours, y contractera la mort qui l’emportera un an et demi après son retour en France.
Gilles Ortlieb a mis ses pas dans ceux de Charles Baudelaire, revenant dans le détail au séjour belge, hôtel du Grand Miroir, de l’auteur des Fleurs du mal. Portrait d’un poète qui subit les échecs de ses conférences, lutte contre ses éditeurs, va dîner chez Mme Hugo, obtient quelques articles à écrire pour payer son logis. Gilles Ortlieb développe un portrait de Bruxelles et des Belges à travers le regard d’un homme déchu, qui s’ennuie, qui maudit la vulgarité carnavalesque de l’art brabançon et qui avec Poulet-Malassis « s’efforce de combler par la conversation l’ennui d’un pays où chaque jour qui passe les conforte dans l’idée qu’il ne s’y passe rien. »
Impeccablement mené, le récit de ses deux ans et demi d’exil laisse un goût amer. Ortlieb termine par un portrait désabusé de la Bruxelles d’aujourd’hui, comme si la mort de Baudelaire venait, dans ce livre, libérer sa propre parole.
Une parole, une langue, un style qu’on prendra plaisir à retrouver dans le recueil de poèmes qui sort simultanément au Temps qu’il fait. Détails insignifiants fixés en une prose découpée en vers qui viennent fixer autant que révéler toute une empathie face au monde. C’est un viatique, une fois de plus, que donne à lire le Français du Luxembourg : un viatique pour traverser « l’ennui et le rien ». Évidemment.
Gilles Ortlieb Au Grand Miroir, Gallimard, « L’un et l’autre », 133 pages, 17,50 € et Meuse métal, etc., Le Temps qu’il fait, 83 pages, 13 €
Domaine français Voir Bruxelles et mourir
juillet 2005 | Le Matricule des Anges n°65
| par
Thierry Guichard
Un livre
Voir Bruxelles et mourir
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°65
, juillet 2005.