Entre Budapest et Rio de Janeiro, entre deux femmes, entre deux langues, José Costa, ghost-writer et vivant fantomatique, tente, souvent sans succès, de reprendre pied dans une réalité floue et mobile. Est-ce une allégorie ? Nul doute que Chico Buarque, célèbre musicien brésilien désormais romancier (deux autres romans ont déjà paru), dissimule, sous le burlesque et l’incongru, une interrogation sur notre époque. L’omniprésence d’écrans de télévision diffusant des actualités confuses auxquelles notre anti-héros ne prend pas la peine de s’intéresser, le désarroi provoqué par les décalages horaires et linguistiques, la vision borgesienne de l’écriture d’emprunt, authentique dans son travestissement, du « nègre » anonyme pris au piège de son propre talent, les rencontres furtives de corps que l’on finit par confondre, dans des chambres toutes semblables, les décors urbains traversés par des jeunes femmes en rollers ou des marcheurs sans visage, tout cela compose un tableau de notre réel déréalisé, de ce monde où chacun doit se confronter à la dépersonnalisation qui le menace. Si l’on peut s’amuser des tribulations de Costa à travers le maquis épineux de la langue hongroise, si l’on peut sourire à la description du « congrès annuel des écrivains anonymes » et s’émouvoir de certaines scènes d’adieu impossible ou de retrouvailles ratées, on peut en revanche s’agacer de cette forme narrative prévisiblement hétéroclite, de cette légèreté fabriquée, de ce penchant à mêler psychologie superficielle et surréalisme convenu. On peut préférer une musique plus concertée et des alcools plus forts.
Thierry Cecille
Budapest
Chico Buarque
Traduit du portugais (Brésil) par Jacques Thiériot
Gallimard, 154 pages, 13,90 €
Domaine étranger Perturbations
mai 2005 | Le Matricule des Anges n°63
| par
Thierry Cecille
Un livre
Perturbations
Par
Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°63
, mai 2005.