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Domaine étranger Cadavres exquis à Montmartre

mars 2005 | Le Matricule des Anges n°61 | par Richard Blin

Quand le point de fuite de l’art et du désir croise celui d’une enquête, le quotidien, parfois, se réenchante. L’écriture joueuse d’Undine Gruenter est à découvrir.

La Cache du Minotaure

Paru en Allemagne, en 2001, La Cache du Minotaure aura été le dernier roman publié de son vivant par Undine Gruenter, décédée à Paris, à l’âge de 50 ans, en octobre 2002. Se tenant volontairement à l’écart du cirque médiatique, elle n’a pas encore obtenu la reconnaissance qu’elle mérite. La traduction de La Cache du Minotaure devrait cependant y contribuer tant ce roman, nourri de la légende du Minotaure comme de celle du surréalisme, relève de la plus intéressante des fictions, celle qui fait la part belle aux confrontations d’époques et à la traversée de la Bibliothèque, celle qui conjugue l’immaturité au rêve, l’inversion à la transgression, et l’humour à la démystification.
Nous sommes en 2000, à Paris, Cité des Platanes, au pied de Montmartre. Un immense carré comportant six bâtiments principaux, d’innombrables ateliers et pavillons, des jardins, des cours, des escaliers et trois sorties. Une enclave d’artistes, un labyrinthe, une île. « Sur une île, la vie est spéculative. Suivent des orgies dionysiaques et des miniatures. Des miniatures sur un rien, un souffle, une feuille dans le vent, la corne d’un taureau qui perce un trou dans le petit, le minuscule, dans le rien ».
C’est ainsi qu’un jour, l’apparition d’écrits poético-fantastiques, sur le panneau d’affichage réservé à l’information des résidents, va venir perturber la vie de la Cité. Jeu de petits papiers, ensemble de cadavres exquis, qui, très vite, vont agir comme de véritables révélateurs, bouleversant les habitudes et les certitudes de chacun. D’où viennent-ils ? Qui visent-ils ? Y a -t-il plusieurs auteurs ? Simple jeu ou début d’une campagne de terreur ? On mène l’enquête, mais le climat vire assez vite à la paranoïa. Certains parlent de ces textes comme d’ « occupants », d’ « envahisseurs » ou même d’ « obus textuels », et le sentiment d’insécurité va grandissant… Mais par-delà tout ce qui relève de la stratégie narrative propre au roman policier, le roman cache une véritable entreprise de re-sensibilisation au réel. Car ce qui anime la poésie du panneau d’affichage, comme l’écriture d’Undine Gruenter, c’est le vieux mais toujours renaissant projet surréaliste de repassionner la vie.
Désentraver l’homme, lui rendre le désir d’être ce qu’il n’est pas, les placards qui apparaissent mystérieusement près de la loge de la concierge, (« une concierge dans laquelle se cachait peut-être le personnage d’Ariane quand elle déroulait des mètres de tuyau pour arroser tous les murs et chemins, enlever la saleté… ») agissent comme un ensemencement. Authentiques excitants de l’imagination quand ils ne sont pas des trouées suspendant la réalité, ils proposent des voies nouvelles à la singularité, suggèrent d’autres façons d’être, cristallisent, sous le masque d’un curieux bestiaire, tentations et fantasmes. Et chacun de s’attacher à renouer avec ce qu’il est au plus profond de soi, de se perdre dans l’ombre de ce qui fait sortir la réalité de ses gonds. Elle est là, la réussite de ce roman, dans l’invite à faire de l’énigme à commencer par celle que nous sommes la base d’une forme de pensée labyrinthique dans laquelle les correspondances secrètes, les fausses pistes, le miroitement des identités et des doubles, les préfigurations du destin, jouent le même rôle que le hasard objectif dans la pensée surréaliste.
Allusions littéraires, détournements d’images et de citations, trafic d’ombres et de fantômes, on avance dans le roman d’Undine Gruenter comme dans un labyrinthe peuplé de miroirs et d’échos de Borges à Breton, de Cocteau à W. Benjamin, de Bataille à Leiris, en passant par Deleuze, Pontalis ou Henry Miller. Mise en fiction de tout ce qui fait l’art romanesque (du roman familial à la (dé)mesure de l’humain, des trous de mémoire aux illuminations profanes, du hasard à la nécessité), La Cache du Minotaure est un roman où tout se réverbère dans tout.
Undine Gruenter écrit contre « cette ennuyeuse modernité » qui met « au premier plan le journal intime, déballage radical, fétiche de l’authenticité, à la place de la fiction romanesque ». Le roman est, pour elle, une façon de faire communiquer les mondes inconnus du dehors et du dedans, du rêve et de l’éveil, de l’absolu et du prosaïque. Une manière aussi de mettre en scène les pulsions érotiques sans lesquelles l’art n’existerait pas. Mais non pas en allant dans le sens de la surenchère actuelle, mais bien plutôt en rapprochant la séduction du tango ou de la corrida, et l’art érotique des vertiges et des voluptés qui fascinent depuis toujours les pornographes érudits. Un roman qui est aussi l’occasion de revisiter l’art des années 30, celui qui trouva si brillamment à s’illustrer dans la revue « à tête de bête » du Minotaure dont Albert Skira, épaulé par André Breton, fut le maître d’œuvre.
Intelligence, humour (« La langue de la jeune femme avait le goût d’un iguane cuit au soleil. Elle portait des dessous rouge brique et avait beaucoup de poils sur les jambes, ce que certains connaisseurs peuvent interpréter comme un signe de tempérament »), ou désinvolture assumée (comme lorsque est comparée « la gelée dans laquelle tremble un saumon entier dans sa peau », à des seins dénudés de « femmes riches picorant avec langueur des mets de choix délicats »), La Cache du Minotaure est un roman à déguster lentement, histoire d’oublier un peu la trop mortelle réalité.

La Cache
du Minotaure

Undine Gruenter
Traduit de l’allemand
par Marielle Roffi
Quidam Éditeur
186 pages, 18,50

Cadavres exquis à Montmartre Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°61 , mars 2005.
LMDA PDF n°61
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