Patrick pense partir. Mais comment faire ? Tout d’abord, s’interroger sérieusement sur le choix des accessoires : « J’ai opté pour une valise en dur, en polypropylène injecté. L’aspect coque, carapace, m’a séduit. On peut s’asseoir dessus sans risque, avec beaucoup plus de tenue que sur un sac de voyage. De manière générale, la valise rigide inspire le respect. » La remplir petit à petit, avec méticulosité : une paire de tongs, un bermuda, des lunettes de soleil, un couteau de survie. Rapporter de l’agence de voyage des brassées de prospectus. Rédiger une lettre de démission en ne laissant de blanc que la ligne réservée à la date. Ne pas oublier, tous les cinq ans, le rappel du vaccin contre la méningite cérébro-spinale. Alimenter un compte épargne à taux préférentiel. Visiter régulièrement une maîtresse thaïlandaise dont l’entrejambe rasé est déjà une invitation au voyage.
Et ne vivre que de l’essentiel, en attendant.
En attendant, justement, Patrick est croupier au casino de Caen. Dans le petit bain de son existence millimétrée, la certitude de partir est un plongeoir vertigineux, aux bords un peu flous, du haut duquel Patrick pense pouvoir se jeter corps et âme, sans hésiter, sans se précipiter non plus. L’écriture précise de Laurent Graff, dont la biographie signale qu’il est en bonne santé, lui noue autour du ventre une bouée de tendresse et d’ironie gentille. Comme Patrick, nous avons tous une valise bouclée qui attend sagement dans l’entrée de l’appartement. Partirons-nous pour autant ? Pas sans ce petit traité de procrastination aigre-doux, cet aller simple pour un voyage immobile qui nous met bien en face de tout ce qu’il nous reste à faire.
Voyage, voyages de Laurent Graff
Le Dilettante, 128 pages, 13 €
Domaine français Sans armes ni bagages
mars 2005 | Le Matricule des Anges n°61
| par
Camille Decisier
Un livre
Sans armes ni bagages
Par
Camille Decisier
Le Matricule des Anges n°61
, mars 2005.