La Pensée de midi N°14
Marseille a toujours enfanté des revues brassant littérature et Méditerranée. En 1914, Marcel Pagnol créait Fortunio. De 1925 à 1966, les Cahiers du Sud s’ouvraient au surréalisme, puis en accueillaient les exclus, tout en s’intéressant avec Joe Bousquet aux littératures occitanes et catalanes. Depuis l’an 2000, le trimestriel La Pensée de midi dirigé par Thierry Fabre et co-édité par Actes Sud propose découvertes littéraires et débats d’idées. Les numéros précédents ont évoqué les territoires de l’appartenance, la traversée des frontières, présenté Alger, Athènes, Palerme, illustré la guerre, mais aussi la cuisine comme gai savoir. Le dernier invite à une réflexion sur l’amour des différences.
Initié dans un premier temps à Biella, dans le Piémont, à la Cittadelarte, cité d’artistes, « lieu d’Utopie concrète », ce questionnement sera réactivé dans la chapelle du Méjan d’Arles lors des dernières rencontres photographiques. Autour d’une table miroir représentant la Méditerranée, assis sur des chaises toutes différentes, révélant chacune un pays, créées par Michelangelo Pistolleto, chantre de l’Arte Povera, les intervenants ont donc pu débattre sur le concept si peu latin de Love difference. Il est vrai que les différences, qu’elles soient sexuelles, religieuses, culturelles, ont en Méditerranée la dangerosité des grenades. Le conflit israélo-palestinien n’en est-il pas le parfait exemple ? Farouk Mardam-Bey, conseiller à l’Institut du monde arabe, affirme que le terme même de différence est un bâton de dynamite. Mâkhi Xenakis, plasticienne, évoque avec une remarquable simplicité le fait d’être étrangère à elle-même, grecque en France, française en Grèce. Mais chaque Méditerranéen n’est-il pas lui-même un miroir éclaté et c’est peut-être ce qui en fait sa force, ce qui lui permet de rebondir ailleurs ? L’écrivain Mathias Enard met en exergue l’œuvre de Louis Brauquier (1900-1976, marseillais, grand voyageur, poète, peintre, photographe) : « Il a les deux pieds en Provence, chaque jambe plantée droite dans une langue ; il est toujours écartelé entre l’intérieur la « porte » d’un pays et l’exil, la disparition et la nostalgie. Le port est pour lui bouche, lèvre, frontière entre intérieur et extérieur entre soi et l’autre. » Le volume offre d’abondants et précieux témoignages permettant au lecteur de prolonger un débat qui est peut-être aussi vieux que l’idée même de Méditerranée. Plus d’encre pour moins de sang, un généreux enjeu… En deuxième partie, La Pensée de midi présente des chroniques de lectures, de films, un carnet d’artiste consacré à Julien Segard, qui en aquarelles et en détournant les affiches retrouve les colorations métissées des rues de la Mare Nostrum.
La Pensée de midi N°14, 142 pages,15 €
(142, La Canebière 13001 Marseille)