Après nous avoir plongés dans le Parnasse des poètes satyriques pour un chevauchage des mots et un entrefoutage des lettres en bonne et due forme, nous avoir projetés dans le Portugal de Salazar avec le magnifique et orwellien Ce que dit Molero de Dinis Machado et nous avoir démontré toute la dimension assassine de la lecture en exhumant le premier roman d’Enrique Vila-Matas, les jeunes éditions Passage du Nord/Ouest nous invitent aujourd’hui à découvrir Finisterra, dernier récit de l’écrivain portugais Carlos de Oliveira, mort en 1981. Drôle de livre en vérité que ce Finisterra. Du genre de ceux qui justement ne s’apparentent à aucun genre, qui vous laissent éblouis sans très bien savoir de quoi il retourne. Lire Finisterra, c’est en effet accepter de faire un voyage en Terra Incognita, de perdre pied dans un long poème en prose pour mieux s’en remettre à la mémoire. En l’occurrence, celle d’un homme revenu dans sa maison natale, sur les traces de son enfance. Car si Finisterra évoque avant tout la ruine, la déliquescence (Finis terrae, le bout de la terre, la terre qui se termine), le sous-titre du livre, Paysage et peuplement, nous indique clairement après coup qu’il s’agit d’un paysage ancré dans le souvenir, peuplé de réminiscences.
Le jardin familial n’est plus qu’un fatras informe d’orties, de ronces et de buis ébouriffés. La gomme mousseuse des gisandras, ces plantes étranges dont les clochettes explosent sous l’effet de la lumière, s’est répandue sur les murs de la maison. La nature a repris ses droits, hostile, menaçante. Bientôt un dialogue s’instaure entre l’homme et l’enfant qu’il a été. La commode hollandaise du salon, le fauteuil à bascule en acajou ou un os de baleine sont autant de plongées dans les territoires inextricables de l’inconscient. Une quête des origines qui nous fait revivre peu à peu la chute financière de la famille, la maison que l’on doit se résoudre à hypothéquer tandis qu’un oncle s’efforce de trouver la formule alchimique de la porcelaine pour tirer tout le monde d’affaire.
Déroulant son fil d’Ariane à travers les terres sablonneuses de Gândara, de Oliveira nous entraîne sur les terrains de jeux de son enfance. Surtout, il montre les liens qui unissent l’homme à la nature. Difficile d’en dire plus. Finisterra est un livre qui résiste, ne s’en laisse pas facilement conter. En le refermant, nombreux sont ceux qui se demanderont quelle est cette « bizarrerie », cet objet littéraire non identifié. On peut leur répondre sans trop prendre de risques qu’il s’agit de littérature. Celle d’un grand.
Finisterra
Carlos de Oliveira
Traduit du portugais par Ingrid Pelletier
Passage du Nord/Ouest
178 pages, 16 €
Domaine étranger Les fleurs du mal
mai 2003 | Le Matricule des Anges n°44
| par
Emmanuel Favre
Un livre
Les fleurs du mal
Par
Emmanuel Favre
Le Matricule des Anges n°44
, mai 2003.