C’est l’été, Paris pèse ; dans une moiteur étouffante une femme marche, et se parle, nous parle. Une amie vient de lui confirmer, faussement apitoyée, ce qu’elle aurait dû soupçonner : Simon, l’homme qu’elle aime, la trompait, naguère, avant même qu’il ne décide de s’éloigner d’elle. Elle quitte cette amie, s’en retourne vers son atelier -elle est peintre- et se remémore alors, en un monologue intérieur fluide, écrit mais vraisemblable, ce que fut cette histoire qui s’achève ainsi, dans le désastre. Une passion simple, l’éveil du désir, la joie de l’accueil de l’autre, le rêve d’un futur partagé, les « mots d’amour », comme chez Piaf. Mais, et c’est là la richesse de ce deuxième roman parfaitement maîtrisé de Gisèle Fournier (le premier, Non-dits, parut en 2000 chez Minuit), nous pressentons, dès les premières pages, que sous cette surface s’agitent des peurs confuses, des hontes, des pressentiments, des jugements ébauchés. Sous les mots anodins d’une conversation amicale ou amoureuse se dissimulent les tropismes du mépris ou du désespoir, la jalousie alourdit une syllabe, le soupçon esquisse un rictus -comme le souvenir insistant d’un traumatisme enfantin vient faire gicler sur la toile la violence des couleurs. La voix aigre de la fausse amie « rappelle le crissement de craie sur le tableau noir » de l’enfance -et quand l’homme qui la quitte referme la porte sur lui, c’est la douleur de l’abandon de la mère, le dimanche soir, qui s’impose de nouveau. La même précision aiguë commande la description des rues, des objets, des passants autour d’elle -auxquels elle semble se raccrocher, pour ne pas totalement perdre pied. Le soupçon peu à peu nous atteint : que consent-elle à dire ? qu’avoue-t-elle ? Là encore, que cachent les mots ? Sans doute cette voix ne livre-t-elle, dans l’acuité de ses notations, qu’une version de ce qui fut, de cette énigme opaque, persistante, qu’est une histoire d’amour… Le livre achevé, nous devrons donc le relire -sur nos gardes désormais.
Mentir vrai
Gisèle Fournier
Mercure de France
136 pages, 12 €
Domaine français Solaire solitude
mai 2003 | Le Matricule des Anges n°44
| par
Thierry Cecille
Un livre
Solaire solitude
Par
Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°44
, mai 2003.