À lire ses pièces et ses romans, il semble que le dramaturge Laurent Gaudé se nourrisse du romancier Gaudé Laurent ou bien vice versa et ce, dans un aller-retour réussi. L’année passée, le prix Goncourt des lycéens a été attribué à son deuxième roman La Mort du roi Tsongor. Sa pièce, Salina, est de la même veine. Laurent Gaudé nous plonge à nouveau au cœur d’une Afrique ancestrale pour nous conter une histoire des origines. Il renoue avec la puissance de la tragédie antique et nous livre les passions humaines dans une grande épopée archaïque. L’écrivain immerge ses personnages au cœur de la guerre et cette violence barbare entre en résonance avec la violence de notre monde contemporain. Mais cette fois-ci, Laurent Gaudé crée comme personnage central une femme, Salina.
La femme, même si elle a toujours eu une place essentielle dans l’œuvre du dramaturge, a rarement joué le rôle principal. C’est maintenant chose faite avec Salina, promise à l’amour et dévastée par la haine, que le lecteur suit sur trente ans de vie, de quinze à quarante-cinq ans environ. Salina, la fille de sel, nommée ainsi à cause de son origine inconnue. Car un peu comme Œdipe, elle a été emmenée au village par un homme, un berger, dans les bras duquel elle n’arrêtait pas de pleurer, à tel point que sur ses joues étaient apparus deux petits ruisseaux de sel.
Pour La Mort du roi Tsongor comme pour Salina, une photographie illustre la page de couverture, une femme ou un homme africain au visage recouvert de terre, de poussière ou de sable, comme un masque de terre et de chair, une invitation à un voyage intemporel entre le royaume des morts et celui des vivants.
Au début de la pièce, Salina apprend qu’au moment où elle deviendra femme, c’est-à-dire lorsqu’elle saignera, elle épousera Saro, le fils aîné des Djimba. Mais elle ne l’aime pas, celui qu’elle désire, c’est le fils cadet, Kano. Mariée de force, la guerre éclate, celle des hommes entre eux, mais aussi celle entre l’homme et la femme, entre la mère et sa belle-fille. Une guerre qui va exiler Salina dans le désert, dans sa solitude, où elle va devenir une légende sanguinaire. Elle décide alors d’enfanter seule l’enfant de la colère. « J’accouche, ici, toute seule au milieu de ce désert, j’accouche de cet enfant d’exil. Te voilà, mon fils. Toi qui n’es pas né d’un père mais de ma seule colère (…) Je ferai de toi le dernier des grands guerriers. Kwane N’Krumba. Mon enfant barbare… » Une colère, qu’elle réussira à tuer et enterrer…
Cette tension mise en jeu par l’écrivain s’exprime dans de grandes répliques, lyriques par moments, d’où se dégage une puissance d’émotions considérable. Laurent Gaudé parvient à nous donner, grâce à ses métaphores, la distance nécessaire pour entendre une fable parlant de notre propre humanité. Et en même temps, il crée une proximité tout aussi nécessaire pour que nous puissions nous laisser transpercer intimement par ses histoires. Un vrai grand plaisir.
Salina
Laurent Gaudé
Actes Sud-Papiers
102 pages, 15 €
Théâtre La fille de sel
mai 2003 | Le Matricule des Anges n°44
| par
Laurence Cazaux
"Salina" est la figure féminine d’un triptyque tragique à la trajectoire tourmentée entre l’histoire du sang des femmes et celle du don des larmes. Gaudé, passeur d’émotions.
Un livre
La fille de sel
Par
Laurence Cazaux
Le Matricule des Anges n°44
, mai 2003.