Le déficit musculaire peut saboter une adolescence. On ne parle pas, ici, de la musculature indispensable à toute survie, mais bien du biceps superflu et des abdos ornementaux. De cette maçonnerie humaine qui sépare très tôt le squelette errant, condamné à avancer dans la vie en cliquetant comme un jeu d’osselets, de l’Apollon des plages, remuant avec fierté ses pectoraux décoratifs. Victor est l’un de ces gringalets baraqués comme un moineau, un oisillon presque contraint de se hisser sur la pointe des pieds pour aborder les fessiers féminins. Mais si Victor se courbe sous le mépris des armoires à glace -« Pousse-toi de là sardine ! », c’est pour enchaîner les pompes. Toute sa vie, Victor fignolera sa charpente. Architecte de son corps, il tentera de réparer la douloureuse injustice qui le priva, dès l’origine, du torse de son grand-père forgeron et des bras d’acier de son père. Une bataille comme une flagellation : « Victor ne se connaissait pas d’ennemi. Sauf lui-même, peut-être ». Cette lutte serait finalement assez banale, dérisoire et pitoyable, s’il ne s’agissait de littérature. Si la structure du roman ne relayait les sacrifices de Victor, mercenaire appliqué des terrains de football, des gymnases, des séances de taï-chi-chuan et, pour finir, patient angoissé des cabinets médicaux. Le livre de Patrice Robin est en effet un bel athlète, au style sobre, bâti en trois parties aux reliefs avantageux : Les efforts, Les blessures, Les soins. Cette anatomie élaborée, en correspondance avec la chair du livre, donne du corps au combat obsessionnel de Victor. Auteur d’un premier roman en 1999, Graine de chanteur (Pétrelle), Patrice Robin réussit avec Les Muscles un joli tour de force.
Les Muscles
Patrice Robin
P.O.L
112 pages, 75 FF (11,43 €)
Domaine français Pompes à encre
septembre 2001 | Le Matricule des Anges n°36
| par
Pascal Paillardet
Un livre
Pompes à encre
Par
Pascal Paillardet
Le Matricule des Anges n°36
, septembre 2001.