Des ruelles de Port-Bou, petit port frontalier catalan, sa ville natale, du vent qui s’y engouffre, du bruit des pas sur les pavés, du franquisme, Maria Mercè Roca avait su tirer dans son précédent ouvrage, une musique mélancolique, minimale, prégnante. Dans Un temps pour perdre, son dernier court roman, celle-ci dès les premières pages se réinstalle. Laura, jeune ouvrière repasse des jeans délavés dans une usine. Sa vie simple se partage entre travail, famille et flirt jusqu’au jour où elle gagne un voyage à Paris. À l’issue duquel elle vit très intensément une histoire d’amour avec un saltimbanque. Histoire vite interrompue.
Outre un regard socio-réaliste presque anachronique dans la littérature contemporaine, la force de Maria Mercè Roca, professeur de littérature, née en 1958, auteur de Basse Saison et des Escaliers de Port-Bou (Métailié 1995, 1997) réside dans l’écriture de l’émoi, la fission qui en résulte, et le sentiment nostalgique persistant qui renvoie à cette formule tirée de Lettres de la religieuse portugaise (ouvrage du XVIIe siècle dont l’auteur reste anonyme) : « Ce n’est pas la perte de l’objet qui crée la nostalgie. C’est la nostalgie qui crée la perte de l’objet. » Phrases ramassées, souvent hachées, vocabulaire commun participent à l’élaboration de la petite musique précitée. « L’ensemble à l’air tellement modeste et familier, authentique et un peu vieux que Laura imagine qu’il va surgir, d’un instant à l’autre, par la porte -une porte peinte et repeinte sans jamais que la couche de peinture précédente ait été ôtée et qui, de fait, s’est transformée en croûte épaisse… » Après de telles précieuses variations, le lecteur intempérant attend de Maria Mercè Roca un opus conséquent où fond et forme se rejoindraient à l’unisson.
Un temps pour perdre
Maria Mercè Roca
Traduit du catalan par Cathy Ytak
Métailié
123 pages, 48 FF (7,32 o)
Domaine étranger Envie d’une autre vie
août 2001 | Le Matricule des Anges n°35
| par
Dominique Aussenac
Un livre
Envie d’une autre vie
Par
Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°35
, août 2001.