Quelle connerie, la guerre ! Cette vérité, cent fois vérifiée et cent fois bafouée, Mario Rigoni Stern (né en 1921) l’a éprouvée jusque dans sa chair (revêtue pour la circonstance de l’uniforme italien) sur la plupart des fronts de la Seconde Guerre mondiale en marchant dans les « neiges des montagnes d’Albanie, des steppes russes et des landes polonaises. » En guerre, manière de Journal du chasseur alpin Stern, s’attache plus particulièrement aux épisodes français et albanais du conflit et résume au détour d’une page toute l’absurdité d’une lutte à proprement parler fratricide : « Une porte est ouverte ; que dis-je ? défoncée ! J’entre. Tout est pêle-mêle, en désordre. Hier encore, peut-être, ces maisonnettes étaient habitées. (…) alors je me rappelle le moment où, en mai 1916, ma famille aussi avait dû tout abandonner devant l’invasion autrichienne et s’en aller pour chercher refuge à travers l’Italie. Je sens croître en moi une sympathie, un sentiment d’affection pour ces gens qui sont partis comme les miens. » En dépit de ce beau passage et de sa valeur documentaire d’ensemble, force est cependant de reconnaître que le présent livre s’adresse prioritairement aux inconditionnels de l’auteur de La Chasse aux coqs de bruyère.
Tel n’est certes pas le cas de Sentiers sous la neige dont le magnifique récit inaugural (Comme tu es maigre, frère…) met en scène un double plausible de notre écrivain qui traverse les décombres du IIIe Reich jusque dans son village natal en Vénétie : « Au-dessus de sa tête les étoiles marquaient le passage du temps et sur les montagnes, à l’est, montait le crépuscule de l’aube. L’Armée rouge était-elle déjà arrivée à Vienne ? » Composée avec une économie de moyens qui touche à la perfection, cette nouvelle atteste une nouvelle fois que la littérature consiste à traiter le matériau brut de la réalité et non à le restituer tel quel (ce qui est pour l’essentiel le cas dans En guerre) ou, pour reprendre les termes d’un supérieur hiérarchique du soldat Stern, que « la forme sauve le fond. » De fait, la quinzaine de textes ici rassemblés participent sur des modes fort divers d’un même enchantement. Parvenu à tel degré d’insoutenable légèreté des lettres, tout devient possible : d’entendre Robert Musil réciter un poème et d’évoquer quatre siècles d’histoire européenne à travers le destin d’un modeste chalet montagnard, de s’entretenir à titre posthume avec tel fameux confrère (Hier matin à skis avec Primo Levi), de méditer sur de vieilles Cartes postales, voire de savamment disserter sur les différents noms de la Neige, les mœurs des chevreuils ou la civilisation cimbre. Parmi ces bonheurs d’écriture, signalons un art consommé de la chute -qui s’explique sans doute par la pratique assidue du ski- particulièrement remarquable dans Ensorcellement (impossible d’en dire plus sous peine de rompre le charme avant l’heure) et dans la brève prose qui donne son titre à l’ensemble : « La neige qui est tombée en abondance ces jours-ci a effacé les sentiers des bergers, les aires des charbonniers, les tranchées de la Grande Guerre et les aventures des chasseurs. Et c’est sous cette neige que vivent mes souvenirs. »
En guerre et
Sentiers sous la neige
Mario Rigoni Stern
Traduits de l’italien
par Marie-Hélène Angelini
et Monique Baccelli
La Fosse aux ours
192 et 160 pages, 110 et 105 FF
Domaine étranger Etoile des neiges
janvier 2001 | Le Matricule des Anges n°33
| par
Eric Naulleau
Grand nom de la littérature italienne, Mario Rigoni Stern se souvient du temps où il partit en guerre le stylo au fusil.
Des livres
Etoile des neiges
Par
Eric Naulleau
Le Matricule des Anges n°33
, janvier 2001.