Le général Pinochet sera-t-il jugé un jour ? Si l’on en croit l’histoire du Chili, (toute puissance des forces armées, des compagnies industrielles ou financières, terrorisme d’état -assassinats, torture, enlèvements, etc…- enkysté à un grand nombre de ses gouvernements et traditionnellement impuni), cela paraît fort douteux.
Dans son premier ouvrage La Reine Isabel chantait des chansons d’amour (1997, Métailié), Rivera Letelier évoquait son parcours singulier. Né en 1950 à Taca, il a toujours vécu dans le désert d’Atacama, situé à l’extrême nord de cette longiligne nation. Longtemps mineur pour les compagnies salpétrières, il apprend à lire et à écrire à vingt ans, entreprend des études secondaires, se fait remarquer pour sa poésie, puis pour ses romans. Les deux premiers -le second s’intitule Le soulier Rouge de Rosita Quintana (1999, Métailié)- lui ont valu le grand prix du Conseil national du livre du Chili. Dans Mirage d’amour avec fanfare Rivera Letelier revient au désert et évoque les terribles conditions de vie dans les mines de salpêtre, aux alentours des années vingt. Mines aux mains de grandes compagnies financières et gérées comme de véritables camps de travail où la chair humaine ne valait pas tripette. « L’horaire sauvage » du lever au coucher du soleil « imposé aux mineurs, horaire qui dans le désert signifiait quatorze heures d’affilée à suer comme des bêtes sous le soleil le plus brûlant de la planète, allait continuer. » S’ajoutaient à cela toutes sortes de vexations et de contraintes. Les révoltes, nombreuses, étaient réprimées dans le sang. Les veilleurs de nuit des campements, gardiens avec fouets et carabines, se transformant en bourreaux impitoyables pour les ouvriers, quand l’armée n’intervenait pas pour faire du « tir aux pigeons sur les ploucs », « ces boucheries que les industriels et les gouvernements en place, coalisés en un complot de silence répugnant, voulaient dissimuler à tout prix à la connaissance publique et à l’histoire de la patrie. »
Une ville, Pampa Union, sans existence légale, à la réputation sulfureuse vu le nombre de ses lupanars, s’affranchit du joug des compagnies. Un coiffeur anarchiste y dénonce l’injustice et prépare un attentat contre le nouveau chef de l’État, tandis que sa fille rencontre l’amour avec un trompettiste bambocheur. L’attentat sera un échec, la fin de l’ouvrage, un drame. S’il est indéniable qu’Hernan Rivera Letelier possède des talents de conteur, si les portraits des différents protagonistes, humains, pittoresques, vivants sont particulièrement réussis et les passages liés aux sensations, perceptions (musique, amour, odorat…), prégnants et très imagés -« C’était une mélodie jouée à la trompette, elle parvint à ses oreilles tel un flot d’or liquide, brûlant, cosmique ; comme si la dimension même de la nuit se fondait en pure musique… »-, ce roman se révèle bien inégal et manque de profondeur de champ malgré les incessants aller-retour (sur l’histoire de la ville, des révoltes matées ou de chaque individu) qui atomisent le récit. La romance apparaît alors bien mièvre par rapport à la gravité des faits à dénoncer.
Mirage d’amour avec fanfare
Hernan Rivera Letelier
Traduit du chilien
par Bertille Hausberg
Métailié
236 pages, 110 FF
Domaine étranger Mémoire des os
septembre 2000 | Le Matricule des Anges n°32
| par
Dominique Aussenac
À travers un roman d’amour et de révolte, le Chilien Hernan Rivera Letelier exhume les crimes d’anciennes dictatures.
Un livre
Mémoire des os
Par
Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°32
, septembre 2000.