Le premier texte de Hubert Michel est un régal pour les papilles, et pas seulement parce que dans ces pages on y sert la poule au riz ou on y gobe l’huître plus qu’ailleurs. La plume légère et badine, ce jeune auteur a le sens des formules apéritives bien nourries : « Au début août, le Championnat venait de reprendre, Jacques Bénigne (…) s’obligea un coup de fil pour sortir de son isolement (…) Je décrochai : il se trouve que je suis aoûtien » comme celui des raccourcis gratinés : « Puisque le cheveu une fois shampouiné serait nickel, je rangeai mon sexe et remontai commander une bière » au point de se demander comment à 40 ans notre écrivain est encore un bleu sur la carte éditoriale. Cette mise en bouche faite, Requiem pour une huître n’a donc de funeste que le titre quand bien même un zest d’acidité maintient le palais en éveil. De quoi s’agit-il ? D’une histoire, tranches de vies bien beurrées demi-sel, entre le narrateur et son mentor Jacques Bénigne, alias Bossuet, grand prix d’éloquence.
La mort prématurée de JB laisse son ami dans un profond désarroi, au souvenir inconsolable d’un bonheur à deux simple « comme un plat de charcuterie ». D’une première rencontre à New York lors d’un concert de jazz naît à Paris le coup de foudre. « À treize heures, il m’attendait en mâchouillant son chewing-gum. Nous nous plûmes aussitôt. » Tout sépare pourtant l’élève et le maître. Le premier est un salarié anonyme au quotidien aussi bouillonnant que la mer Morte : trompe allégrement sa femme avec une galeriste, lit l’Équipe, aime le football -il prépare un livre sorte de trombinoscope exhaustif de ceux qui fréquentent le Parc des Princes. Le second, plus âgé, est un artiste-peintre inconnu, « malgré un papier complaisant dans Jeunes Agriculteurs » et il y a des raisons à cela. Lors de ses périodes inspirées, ses dessins dénotent « d’étonnantes ressemblances avec le catalogue Manufrance ». Homme de l’art fauché, JB mène une vie de sybarite. Le dandy réfléchit beaucoup, dissipe son ennui avec Schopenhauer ou les mangas la Camel aux lèvres et cultive une dilettante neurasthénie domestique après avoir commis avec son épouse -dont ne subsiste « plus qu’un fond de sympathie »- une « œuvre braillarde » (trois enfants). Autant dire une existence planctonique en sursis avant que son cœur ne ferme le ban.
Dans ce Requiem, la partition du bonheur se joue donc sur des tons à la fois désinvoltes et loufoques. On sourit beaucoup des aventures de ce duo tendrement décalé -le lecteur célibataire se rappellera par exemple comment éviter que famille et belle-famille ne se rendent à ses futures noces. Pourtant, en arrière-plan, le désenchantement pointe son nez. On devine l’anguille de l’angoisse sous la roche : la perte des valeurs sentimentales, le triomphe du matérialisme, une société qui exclut les rêveurs… Telle l’huître, « l’infect et le malpropre m’attirent », confie Jacques Bénigne. « Oui, j’épure, et quand la merde ambiante aura totalement disparu, je pourrai prospérer, peinard, loin de ces crabes. » En attendant, on s’est bien régalé à ce banquet de saveurs aigres-douces.
Requiem pour une huître
Hubert Michel
Le Dilettante
152 pages, 89 FF
Premiers romans Humeurs perlières
septembre 2000 | Le Matricule des Anges n°32
| par
Philippe Savary
Hubert Michel convie son hôte à un délicieux récit où l’art et le football se mêlent à un humour déluré avec la bénédiction de l’huître.
Un livre
Humeurs perlières
Par
Philippe Savary
Le Matricule des Anges n°32
, septembre 2000.