Plus qu’une dantesque malchance, c’est une inexorable misère qui poursuit chacun des cinq principaux personnages de Mauvais Numéro, premier roman d’Alexandre Kauffmann. Dans un Madagascar en détresse, l’auteur présente une succession de saynètes d’une amère cruauté, où la rudesse du quotidien de l’île est dépeinte avec une abrupte simplicité. Ex-détenu tentant de refaire sa vie, vaniteuse mondaine en banqueroute, jeune homme menacé par la famine, patriarche alcoolique ou orphelin des rues, tous seront tôt ou tard victimes de l’acharnement du destin. L’auteur s’attache au dénouement tragique de leur existence, à la nuit où leurs frêles espoirs s’anéantissent définitivement. Tapis au coin des ruelles insalubres, derrière les portes des « gargotes » comme celles des résidences luxueuses, l’échec et son cortège de désespoir sautent à la gorge de ces antihéros. Proche du Hasard de Kieslowski, Mauvais Numéro démontre l’inexistence du libre arbitre, et l’absence de prise qu’ont les hommes sur leur propre condition. Si parfois ces tranches de vie prennent un tour de conte moral, en raison des travers ou de la noirceur d’âme qui animent ces êtres brisés, cette démonstration pessimiste n’en reste pas moins dominante.
Mais Kauffmann, par son pointilleux réalisme, laisse percevoir que dans cet univers malgache englué de larcins et de prostitution, les écueils sont multiples et l’avenir n’est qu’impasse. Grâce à l’humour grinçant dont est pétri l’ouvrage, le lecteur sourit à ce jeu de massacre, guettant avec une curiosité croissante quelle rocambolesque tragédie conclura le chapitre. Et se surprend à partager la réaction du énième infortuné croisé dans ce récit face à tant de jubilatoire perversité : « Non, murmura-t-il, non, ne me dites pas que je vais voir ce que je m’attends à voir… Il en riait presque. »
Mauvais Numéro
Alexandre Kauffmann
Arléa
224 pages, 95 FF
Premiers romans L’impasse
septembre 2000 | Le Matricule des Anges n°32
| par
Nathalie Dalain
Un livre
L’impasse
Par
Nathalie Dalain
Le Matricule des Anges n°32
, septembre 2000.