L’argument du premier roman de Lionel Destremau, fondateur de la revue Prétexte aujourd’hui maison d’édition- est bien mince. Un homme, Alexandre, prend chaque jour, à l’aller comme au retour de son travail, le bus de la ligne 97. Et il écrit ce qu’il voit (mais pas ce qu’on lit, le roman est écrit à la troisième personne). Voilà. Pas de quoi susciter l’adaptation cinématographie du livre par Spielberg. Le roman supprime le plus possible le fait fictionnel pour dénuder l’écriture, son vrai sujet.
Quand un animal naît, il reste accroché au corps de sa mère, puis, ensuite, commence à explorer du bout de la truffe l’espace proche. Ce n’est que plus tard qu’il affronte le monde. C’est ainsi qu’on voit Alexandre : s’il prend le bus, ce n’est pas tant pour aller travailler que pour échapper au monde extérieur, à ses ombres. Comme si elle était un cordon ombilical il choisit même ses restaurants en fonction de leur proximité avec la ligne 97. Pire, il n’y a que dans le bus qu’il se sent vivre : « c’est son refuge, l’abri anti-cauchemar seul capable de contrer une dérive de l’esprit ». C’est qu’Alexandre a l’esprit naturellement dériveur. On ne sait pas tout de suite pourquoi, mais notre homme habite en voisin de la folie et ce n’est pas Irène, sa femme hors cadre et dont seule la voix se fait entendre qui pourrait lui venir en aide.
Dans le bus, Alexandre trouve ses repaires. Ce sont des habitués auxquels il associe dans son carnet des noms de fruits (« Cerise » qui est belle, « Pomme » qui est grosse). Son univers se règle définitivement sur cette colonne vertébrale avec une maniaquerie inquiétante.
Et sur l’écriture aussi qui est « son cordon second pour se désolidariser du monde, et le faisant, contradictoirement s’y rattacher plus encore ».
Ce qui étonne dans ce roman, c’est que l’auteur le pousse jusqu’à la page 154 mais qu’il eût pu tout aussi bien ne jamais le finir. Sa phrase a trouvé un rythme de croisière qu’aucune panne ne menace. Ce ronronnement de moteur endort un peu le lecteur pour qui La Ligne 97 apparaît comme un exercice d’écriture maîtrisée. Un peu trop.
La Ligne 97
Lionel Destremau
Le Rouergue
154 pages, 10,50 euros
Premiers romans Le train-train du bus
juin 2002 | Le Matricule des Anges n°39
| par
Thierry Guichard
Un livre
Le train-train du bus
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°39
, juin 2002.