Lorsqu’on se représente le héros type du roman policier, on l’imagine paumé et imbibé. Ezequiel Aguirre, dans Du tabac pour le puma, ne sort pas du cadre, a priori. Il porte l’errance en lui, fume et boit. Signe distinctif plus singulier, il cherche à oublier dans sa pratique de la prestidigitation et des dominos le départ de sa femme Lilian.
Si le précédent roman de Juan Hernández Luna (Lmda N°24) possédait le pouvoir grisant de nous égarer dans son intrigue, Du tabac pour le puma regorge de qualités identiques. Il présente également une maîtrise formelle plus évidente. Malgré les apparences, le texte n’est pas sans forme, mais déformé plutôt. L’écrivain l’anime, lui impose un mouvement permanent, lui permet ainsi de trouver les lieux et heures propices au développement d’un univers instable. À Puebla, le monde ne cesse d’osciller entre le réalisme, l’humour et la violence. C’est ce qui fait la singularité de ce texte. L’ouvrage a d’ailleurs obtenu le prix Hammett 1997, décerné par l’Association internationale des écrivains policiers au festival de Gijón, en Espagne. Sur la mince base de départ évoquée plus haut, Juan Hernández Luna se plaît à greffer les bribes de plusieurs histoires qui nous parviennent les unes après les autres et épaississent le brouillard de l’intrigue. Les courtes tranches temporelles se succèdent à un rythme soutenu et font de ce roman un texte exigeant qui nécessite une rapide cadence de lecture. La collection de polars de l’éditeur, en reprenant une phrase de Manchette, ne se nomme pas « insomniaques et ferroviaires » par hasard.
Le Mexique, balayé sur tout le siècle ici, est le lieu rêvé pour que la confusion progresse : « Étant donné que Kafka est notre saint patron dans ce pays de chiotte, ici tout peut arriver. » Puebla, ville fondée par les anges, se révèle l’épicentre idéal des séismes ambiants : « Puebla était une ville mouvante, même si les cartes postales d’églises ou de boutiques de confiseurs tendaient à prouver l’inverse. »
La figure d’un écrivain californien qui se trouve être l’amant de Lilian, traverse le roman. Il ressemble à Juan Hernández Luna comme deux gouttes de Mezcal. Lors de ses apparitions, il donne à ce propos de précieux indices sur le travail de l’écriture : « Alors, mon salopard, je vous verrai avec l’âme en charpie essayer de pondre un roman. Vous ne dormirez pas en pensant au clavier de l’ordinateur. Vos yeux réclameront sommeil et repos, mais vous les forcerez à fixer l’écran du moniteur où le roman ne peut éclore par manque d’intrigue, or vous ne disposez que de bribes. »
Les amateurs de perfection et d’intrigues policières convenablement liées pourraient être déçus. Du tabac pour le puma est avant tout un roman libre, anarchique, qui se délite avant de tisser entre elles les histoires qu’il brasse. Le texte possède également de nombreux « intermèdes », parenthèses nécessaires à l’éclaircissement de l’ensemble au final.
Juan Hernández Luna dispose d’un ton très personnel. Avec cette nouvelle traduction, il affirme sa maîtrise du désordre. Une œuvre à suivre avec attention, l’originalité n’étant pas si souvent la marque du genre policier.
Du tabac pour le puma
Juan Hernández Luna
Traduit de l’espagnol
par Christophe Josse
L’Atalante
320 pages, 95 FF
Domaine étranger Mezcal city
mars 2000 | Le Matricule des Anges n°30
| par
Benoît Broyart
Deuxième traduction en français pour Juan Hernández Luna, un auteur de roman noir mexicain né en 1962. Un beau polar à la structure dynamitée.
Un livre
Mezcal city
Par
Benoît Broyart
Le Matricule des Anges n°30
, mars 2000.