La pratique carnavalesque de la langue héritée de Rabelais et Jarry et théorisée par Bakhtine reste un des traits fondamentaux de l’écriture de Christian Prigent. Il s’agit de piéger la langue par une vitesse riche en dérapages sémantiques, de provoquer des accidents pour qu’affleure un sens plus enfoui et de désamorcer le pathos qui donne prise à l’angoisse chronique. « Il s’agit en somme écrit Vincent Nyckees dans Faire-Part N°14-15, de faire advenir un certain refoulé. » Quelques exemples, glanés dans une œuvre qui peut donner parfois le tournis.
« - do you scie l’ouate I mine ?/ - of corse, c’est pas coton ! » (Œuf-glotte)
« il a lu tous les livres,/ il les trouve chers et tristes » (Peep-show)
« la moquette en poils de pré » (pour parler d’un terrain de foot dans Commencement).
« Les jeux déments de mots. Pas trop gros, pas almanach Vermot. Plutôt freudo-lacano-ex-mao. » (Commencement)
« (Je parle) en anglois/ en moyen haut émoi/ en étrusque en osque en atrosque/ en truc à s’moquer du/ loquedu » (Je Parle dans L’Écriture ça crispe le mou)
« - on a toujours besoin d’un p’tit orgasme at home !/ -hors gasme, pas d’salut ! » (Litanies, dans L’Écriture ça crispe le mou).
« Je pense donc ça cuit » (Une phrase pour ma mère)
« elle m’apprend aussi le mot macchabée, j’en reste bouche basse ». (la syllabe appelée à la rime est écartée, Une phrase…)
« te vlà encore qui procrastines, finis plutôt ta tartine » (mélange des niveaux de langue pour introduire la dimension comique du retour au réel, Une phrase…)
On n’en finirait pas à relever ainsi les figures rhétoriques, les allusions littéraires (voire populaires : « Existe. Montre que tu résistes »), les mots pris dans l’ancien français (parfois bricolé), le gallo, etc., qui enrichissent une œuvre polysémique.
Dossier
Christian Prigent
Le carnaval des langues
octobre 1999 | Le Matricule des Anges n°28
| par
Thierry Guichard