Ceux qui regrettent la disparition des pamphlétaires et des imprécateurs à l’ancienne se féliciteront de la réédition d’A bas la critique !. Sous ce titre vengeur, Raymond Cousse avait rassemblé entre 1978 et 1983 pour les éditions Rupture des « lettres et pamphlets » rédigés à l’aide d’une plume coruscante, drôle et abrasive. Ces textes parfois un peu injustes mais tellement délectables ne doivent pas passer inaperçus.
Né en 1942, Raymond Cousse était un homme talentueux glissé dans la défroque d’un créateur marginal. Biographe et promoteur d’Emmanuel Bove, romancier, auteur dramatique, metteur en scène et comédien, il a obtenu les louanges de Beckett et d’Ionesco. Ses pièces se sont jouées beaucoup, à l’étranger surtout comme en témoigne le récit de ses tournées extra-européennes, L’Envers vaut l’endroit et Découverte de l’Afrique (Le Dilettante, 1986 et 1991). La France en revanche est restée rétive à son talent. Cousse butait sur une presse insensible à son travail et à son ton. C’est pourquoi, au risque de brûler ses navires précocement, il est rentré dans le lard de la critique littéraire afin de dévoiler son imposture et sa médiocrité.
En 1983, Bertrand Poirot-Delpech se plaignait dans Le Monde que la rosserie littéraire n’était plus un sport à la mode. Il aurait mieux fait de se taire car Cousse l’a éreinté consciencieusement avant de préciser : « La polémique ne m’intéresse que dans l’exacte mesure où elle me permet de stimuler et d’exacerber mon art ». Chez l’auteur du fameux roman Stratégie pour deux jambons (Librio, 1996), cette déclaration contenait la promesse d’un feu nourri de méchancetés et de sarcasmes. La profession des « esclaves salariés » allait en prendre pour son grade. Parmi tant d’autres, André Brincourt est peint en « gâteux » du Figaro, son collègue François Nourrissier « pédale légèrement à côté du vélo ». Passons sur le sort scatologique réservé à Angelo Rinaldi le « roquet hargneux » de L’Express (versé depuis au Nouvel Observateur), passons aussi sur la leçon d’humilité adressée à Jacques Fauvet (Le Monde)… Certes, les arguments de Cousse ne brillent pas toujours par leur élégance mais ils font mouche. Témoin Bernard Pivot, victime expiatoire, choisi parce qu’il incarne selon le pamphlétaire la France poujadiste : c’est « un trou noir dans lequel vient se perdre toute culture vivante (tandis que) réussite tapageuse, affichage du mercantilisme, charognerie sans limite deviennent les critères de la valeur artistique ».
On dit parfois que la critique est facile, par conséquent que la critique de la critique est aisée. Mais que constate-t-on ? La plupart des critiques épinglés trônent toujours. Vingt ans après, ils légifèrent encore à tort et à raison. Tous ? non, Raymond Cousse a mis fin à sa propre carrière. « Je ricane fort peu moi-même en écrivant, avouait-il. Ce n’est qu’une manière de camoufler le tragique. » Et le tragique a débordé : Cousse s’est suicidé le 2 décembre 1991. Qui prendra la relève ? Son livre qui n’est pas seulement une séance d’entartage pose des questions essentielles, mais ont-elles encore un sens ? Où en est aujourd’hui le journalisme littéraire ? Quels sont aujourd’hui les critiques dignes d’intérêt ? Nous-mêmes, sommes-nous tellement innocents ? Il est difficile de répondre à certaines de ces questions, preuve que Raymond Cousse nous manque.
A bas la critique !
Raymond Cousse
Cent pages
160 pages, 59 FF
Domaine français Stratégie des cornichons
mai 1999 | Le Matricule des Anges n°26
| par
Éric Dussert
Las d’attirer mépris et quolibets, le romancier-dramaturge Raymond Cousse avait pris pour cible de ses sarcasmes la critique française. Feu nourri.
Un livre
Stratégie des cornichons
Par
Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°26
, mai 1999.