Les aventures fin de siècle de la recherche médicale inspirent semble-t-il les jeunes romanciers. Les désirs sans limite des généticiens deviennent des motifs littéraires plus ou moins explicites. Le deuxième roman de Stéphane Zagdanski, Miroir amer, en est un exemple, même si on ne peut seulement le résumer ainsi. Nous sommes dans l’univers des fécondations in vitro et de la gestion rationalisée des origines, cette création que l’on a longtemps imaginer mystérieuse et qui dorénavant s’offre au regard dans un tube de verre. Le point rayonnant de ce roman -l’auteur évoque une « focale très resserrée » - est précisément cet instant sous verre, ce microévénement sans mémoire. Le narrateur, dont on ne découvre l’identité que dans les dernières pages, recompose l’histoire de celui qui bien longtemps après sa conception se sentira non pas dépressif mais « comprimé », à jamais glacé par ce dévoilement originel. Cet homme conçu dans une éprouvette n’est finalement que le clône d’un autre, son frère, mort prématurément. Le roman s’ouvre ainsi sur la nausée inexplicable de ce personnage et, en passant d’une époque et d’une génération à l’autre, dévoile lentement toutes les épaisseurs de ce malaise sans raison.
Contrairement à Michel Houellebecq qui laisse planer une certaine ambiguïté en se faisant l’avocat d’une diablerie contemporaine, Stéphane Zagdanski est lui beaucoup plus clair. Ces scientifiques qui désirent maîtriser la vie, ces apôtres de la raison, sont tout simplement les dignes héritiers des nazis : « Bien sûr, la charogne qui pratiquait ses expériences, le Mengele là, c’était un malade, un pervers, mais leur dessein général ne l’était pas. Il s’agissait d’améliorer le sort des blondinets. Vous auriez estomaqué un schleux en lui faisant remarquer qu’il était une ordure. Comme le blouseux qui vous enfourne un têtard humain dans un œuf de poulette, là-haut, en triant les gênes, en comptabilisant les chromosomes, serait scandalisé si vous le traitiez de nazi ! ».
L’auteur qui s’est d’abord fait connaître par un essai sur Céline en retrouve certains accents le temps de quelques diatribes apocalyptiques (à travers par exemple le docteur Bénigne, scientifique ivre de lui-même et de son pouvoir). Il est d’ailleurs étonnant de constater à quel point le style de Stéphane Zagdanski diffère, sans que l’on sache vraiment comment l’interpréter, suivant le registre d’écriture. Jouissif, percutant et inventif quand le propos sert une pensée violemment dénonciatrice. Poussif, boursouflé et proche d’une forme de caricature littéraire quand l’écriture se veut plus descriptive. Un exemple parmi d’autres : « Pourtant, au mois de mai, le jardin du Luxembourg est une résurrection. Le soleil vaporise son étincelante tiédeur à travers les branches hirsutes des marronniers, (…) inonde les parterres multicolores de fleurs hilares, orgueilleusement insensibles à la fadeur des propos qui se tiennent dans les fraîches entrailles d’ombre du mastodonte de pierre, le Sénat, à dix pas de leur vitalité splendide ». Si l’on parvient à oublier ces subtilités métaphoriques et une construction parfois trop savamment brouillée, le récit de celui qui, avec la bénédiction du Père Philippe Sollers, bénéficie comme son narrateur d’une « petite notoriété piquetée de scandale dans un certain milieu » mérite que l’on ne s’arrête pas seulement à sa réputation.
Miroir amer
Stéphane Zagdanski
Gallimard
148 pages, 80 FF
Domaine français Le malaise du clône
mai 1999 | Le Matricule des Anges n°26
| par
Christophe Dabitch
Stéphane Zagdanski part de presque rien, une fécondation in vitro, pour déployer son Miroir amer de la société. A la fois jouissif et poussif.
Un livre
Le malaise du clône
Par
Christophe Dabitch
Le Matricule des Anges n°26
, mai 1999.