Le deuxième roman de Christophe Derouet a de quoi perturber les amateurs de polar. On y retrouve la même originalité de ton et de forme que dans Journal d’un tueur vénitien (même éditeur) et l’intrigue policière canalise une histoire qui sans cela étendrait ses ramifications dans tous les espaces. Au jeu des résumés, on pourrait avancer qu’Austerlitz bordée de brume raconte à la manière du Diva de Beinex, comment un jeune homme, écrivain de « nanar » et passionné de soldats de plomb napoléoniens, rencontre une jeune voleuse, Wanda, qui vient d’escroquer son commanditaire. La jeune fille est donc en fuite, et ses poursuivants ont des rêves d’une complexité inversement proportionnelle à leur intelligence réduite. Évidemment, Julien tombe amoureux de la belle et tente de mener de front son incroyable roman (où l’amour prend le pas sur le polar), son rêve de bataille napoléonienne (il s’incarne en l’aide de camp botaniste de Napoléon), et la course-poursuite après une réalité nommée Wanda.
Christophe Derouet, né en 1967, aligne des phrases qui changent la perception du réel, en épousant souvent le rythme des monologues intérieurs : les personnages, quels qu’ils soient, sont autant faits de rêves, d’imaginaire et de souvenirs que de chair. Les exemples auxquels rattacher ce livre n’abondent pas. On évoquerait volontiers une littérature américaine adepte de la collision des paroles et des voix (de Gaddis à Pynchon) mais alimentée de toute une culture européenne. L’auteur semble avancer les premières notes de chaque chapitre pour laisser ensuite la phrase s’en emparer et mener le récit là où personne ne s’attendait qu’il aille. Les références (côté musique on notera la présence de Dominique A, Miossec et Murat) sont autant de passerelles pour conduire le lecteur d’un niveau de lecture à un autre. On est donc surpris, le livre achevé (et comment !) de constater l’unité du roman. Surpris et drôlement charmé.
Austerlitz bordée de brume
Christophe Derouet
Hors Commerce
123 pages, 80 FF
Domaine français Un coup de Trafalgar
mai 1999 | Le Matricule des Anges n°26
| par
Thierry Guichard
Un livre
Un coup de Trafalgar
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°26
, mai 1999.