Deux couples disparates, en attente, presqu’en stand-by. Immobilisés à des carrefours, pris dans des nœuds de vie inextricables. Deux couples issus d’un premier éclatement, d’un divorce. Le premier est constitué d’un adolescent de dix-sept ans, Larry et de sa tante trentenaire, Doris. Doris convoie Larry pour Seattle où il doit passer Thanksgiving avec sa mère. Parents séparés, Larry vit avec son père dans un coin perdu du Montana. En attendant le train, Doris fait la tournée des bars et branche des inconnus. Larry suit. Il neige. Charley Mattews et Helen forment le second couple. Ensemble, depuis deux ans, ils arrivent à Paris où Charley doit rencontrer la traductrice de son premier roman. Sa femme l’a plaqué, il y a quelques temps et a pris la route avec sa fille. Helen a quelques années de plus que Charley qui frappe à la porte de la quarantaine, un appétit sexuel inextinguible et un cancer. C’est la semaine de Noël, Charley attend sa traductrice. Il neige.
La frontière et Une situation difficile, nouvelles presqu’en miroir mettent en scène des Américains « moyens » perdus ou noyés, presqu’étrangers à eux-même, propulsés par les hasards de la vie. Ils ne maîtrisent rien, leur passé sent l’aigre. Leur code de conduite semble simplement être de maintenir la tête hors de l’eau. Tout autour d’eux, il y a soit le néant : la campagne enneigée, soit des structures, architectures, magasins, bars, restaurants, musées ; lieux où d’autres humains s’agglutinent, pratiquant peu ou prou le jeu, le lien social, culturel. De huis clos en huis clos, intérieurs de cadillac, bars, chambres d’hôtels aux vitres embués, une tension étouffée, duveteuse se met à croître. Les dialogues se font hachés, cinglants, les protagonistes titubent et en même temps, lucides, s’interrogent sur les valeurs censées guider leurs pas. Doris, à moitié bourrée interpelle son neveu sur ses croyances. « Bon, alors je vais te mettre sur la voie. Tu pourrais dire « l’amour », d’accord ? Ou encore, « la beauté ». » Helen fait de même avec Charley qui répond « Je crois à la notion de changement. Je crois que les choses changent pour s’améliorer. Si elles le peuvent… » Mais ces interrogations, ces professions de foi n’enveloppent qu’un vide convenu et accélèrent le processus dramatique. La mort surgit. Un indien se fait descendre de sang froid par des flics. Helen se suicide. La vie continue, conglomérat d’ambiguïtés, de mensonges, de compromissions. Il ne neige plus. Larry s’endort. Charley rencontre sa traductrice.
Ce que Richard Ford, né en 1944 à Jackson (Mississipi), auteur de huit romans traduits en français et lauréat de deux des plus grands prix littéraires américains, le Pulitzer et le Faulkner, projette ou lit dans l’âme de ses contemporains est terriblement pertinent. Sa démarche est à la fois très américaine -il dénonce l’absence de foi, la vacuité des valeurs fondatrices- et très universelle puisqu’il démontre l’incapacité des êtres à s’aimer, à fusionner au-delà d’eux-mêmes, des conventions sociales, des petites mesquineries du quotidien. Un style sobre, efficace. Un auteur conséquent, grave, lucide, émouvant.
Une situation difficile
Richard Ford
Traduit de l’américain
par Suzanne V. Mayoux
L’Olivier
205 pages, 99 FF
Domaine étranger En panne de ferveur
juin 1998 | Le Matricule des Anges n°23
| par
Dominique Aussenac
,
Serge Airoldi
Deux longues nouvelles de l’Américain Richard Ford pour dire la solitude, l’incommunicabilité, l’impossibilté de fusion entre les êtres. Lucides.
Un livre
Le Matricule des Anges n°23
, juin 1998.