Le narrateur de Visiteur rend chaque jour visite à son père à l’hôpital. Cet homme jeune redevient dans le face-à-face l’enfant avec toutes ses angoisses devant l’avenir, sa demande inépuisable d’amour, de reconnaissance, sa quête d’identité : « Lui devoir ma vie et ne plus être certain d’une ressemblance. À force de décalage. Un soleil sépia me prolonge dans l’enfance. La vie a redistribué les rôles et je ne saurai jamais mon texte. »
Le vieillard sur son lit attend. L’autre fils, l’absent, le préféré. Celui qui ne viendra pas.Dans cette chambre de silence vont se nouer, puis se dénouer, les sentiments, les regards, les attachements, les peurs. « Je m’efforce de lui plaire et nos regards s’appauvrissent de jour en jour. » Le fils est démuni devant le corps décharné de ce père dont il se sent à la fois si proche et si éloigné. Distance traduite par une écriture empreinte d’un regard étranger non dénué de tendresse. Les mots sont choisis au plus près toujours ; ils sont un fil tendu entre pudeur et violence. « La boutonnière de ses lèvres ourle des mots contrariés pour condamner mes attentes affectives. » La rigueur des textes reflète l’enfermement des deux personnages dans la somme des non-dits. La justesse des propos suggère ce qu’il faut d’amour et de souffrance.S’accaparant peu à peu le corps du père, la mort à venir va libérer le fils de son rôle de fils-enfant pour l’amener enfin à sa condition d’adulte avec tout ce que cela implique de l’acceptation des manques.En deuxième partie du livre, une courte nouvelle. En écho au « fils blessé », c’est le « père blessé », Un homme sans histoire dont l’histoire justement, cet appel de l’amour et du regard de l’autre, n’est finalement qu’un éternel recommencement du début à la fin de la vie. La résignation s’installant avec l’âge. Telle un avant-goût de la mort déjà. Pas très gai tout ça !
VisiteurÉrik Poulet
La Renarde Rouge (89 510 Véron) 65 pages, 70 FF
Domaine français Zone mortuaire
novembre 1997 | Le Matricule des Anges n°21
| par
Corinne Robert
Un livre
Zone mortuaire
Par
Corinne Robert
Le Matricule des Anges n°21
, novembre 1997.