Ibsen n’est qu’un « bavard », Maupassant un adroit « jongleur » à la mode, les livres de Zola « des wagons de marchandises transportant des affaires ménagères courantes et très demandées avec lesquelles il parcourt le monde ». En 1890, Knut Hamsun est encore tout jeune écrivain. Son premier roman, La Faim, est à peine sorti de l’imprimerie lorsqu’il rédige trois textes qu’il lira dans quelques villes norvégiennes. Cette série de conférences est l’occasion pour le futur Nobel d’affirmer sa différence face à la littérature dominante de son pays.
À travers les quatre grands de la « percée moderne » de cette fin de siècle (Ibsen, Bjørnson, Lie, Kielland), Hamsun s’élève contre cette littérature alimentaire, utilitaire, « émue par un érotisme tranquille, rural ». Il reproche à cette production de s’attacher uniquement à informer la société et à dépeindre des types ou des caractères. Sur un ton péremptoire et de délicieuse mauvaise foi, le jeune Hamsun égratigne ses modèles, leur reproche leur facilité, et l’absence dans leurs livres d’une vraie psychologie. « Nous vivons encore sur les trois ou quatre sentiments fondamentaux que débitait Shakespeare : l’amour, la colère, la peur et l’étonnement », ironise-t-il. Refusant le diktat du positivisme et de la science, Hamsun revendique le droit d’explorer des voies nouvelles. Pour lui, l’être humain change au fil des époques, et l’écrivain doit s’intéresser à la « vie inconsciente de l’âme », douée d’exaltation, d’égarements, car « l’âme humaine est un monde dans lequel tout se meut, un abîme de mimosas où souffle le vent ». Une exploration dont ne se préoccupe guère, pour Hamsun, la littérature à la mode : « C’est de la poésie corporelle en rut, démocratisée selon le goût du peuple. »
Plus que l’intérêt polémique, l’ensemble de ces trois textes -richement annoté- est d’une grande valeur : il révèle avec pertinence le caractère d’un esprit moderne. C’est aussi la stupéfiante analyse par Hamsun de ce que sera ses trente livres à venir.
Littérature à la mode
et autres textes
Knut Hamsun
Traduit du norvégien
par Régis Boyer
Joseph K.
124 pages, 80 FF
Domaine étranger Hamsun avant Hamsun
décembre 1996 | Le Matricule des Anges n°18
| par
Philippe Savary
Un livre
Hamsun avant Hamsun
Par
Philippe Savary
Le Matricule des Anges n°18
, décembre 1996.