Arpenteur parisien, pilier de bars, Yves Martin est aussi un amoureux des salles obscures.Pas de celles où les ouvreuses en uniforme règlent la circulation des files d’attente.L’humble bonhomme (qui « arrive toujours de trop loin après de grossières courses en sac, le corps étourdi de ficelles ») préfère les obscurités crasseuses des salles spécialisées, où se décline à toutes les sauces le pornographique : de l’érotisme soft au quasi-documentaire sur la vie des poils… Des salles de cinéma aux noms conquérants et aux W.-C. très fréquentés.Sur un sujet pareil, on peut s’attendre au pire.On n’imagine pas un instant que l’on échappera à un naturalisme à se pendre.C’est méconnaître l’art d’Yves Martin.L’homme est poète : il s’est forgé une langue singulière dont l’hallucinante richesse finit par projeter des ombres de couleurs dans cet univers délavé qu’il affectionne. Ainsi, à propos d’une de ces salles : « Le Midi-Minuit est aussi surprenant qu’un élève qui n’est pas tout à fait un cancre et rédige ses devoirs seulement entre les branches d’un cerisier. »L’incongruité des images, la juxtaposition contre nature de certains mots génèrent un sentiment d’étrangeté béat dans lequel le lecteur flotte comme dans un bain amniotique. Et derrière cet amour des façades lépreuses, se dessine en filigrane, celui que l’auteur accorde à ceux, caissières, videurs et obsédés malheureux, qui vivent à l’ombre du siècle.
Les Rois ambulants
Zulma
126 pages, 49 FF
Domaine français Porno poétique
décembre 1996 | Le Matricule des Anges n°18
| par
Thierry Guichard
Un livre
Porno poétique
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°18
, décembre 1996.