Jude Stéfan poursuit avecScènes dernières son œuvre de nouvelliste, inaugurée avecVie de mon frère (Gallimard, 1973). Le narrateur de la première nouvelle, « Racaille », donne le ton. Il se remémore les moments forts partagés avec les complices de l’enfance. Des amis morts depuis, de déchéance ou suicidés. Le propos est clair : toute tentative pour donner un sens véritable à sa vie se solde par l’échec.
La vie d’un raté, une idylle à peine ébauchée, une journée sans, un rendez-vous avec la mort…, les dix autres Histoires de vie-mort prolongent la première. Les personnages vivent des situations marquantes, souvent irréversibles. Les lecteurs de Jude Stéfan reconnaîtront des noms, des lieux et des objets déjà entrevus. La virtuosité de l’auteur est telle, qu’il parvient en multipliant les anachronismes, les ambiguïtés, les clins d’œil et les commentaires ironiques, à rendre familiers des personnages qui sont cependant loin d’avoir une identité romanesque classique. Scènes dernières est une nouvelle fois marqué par la variété des histoires au sein d’un ensemble cohérent. Les « variations », (autre sous-titre du livre), s’opèrent à des niveaux très différents : thématique avec, par exemple, les deux histoires de non-rencontres amoureuses (« La Semaine » et « Le Crémationniste »), temporel, chaque nouvelle représentant une période différente (récit bref d’une vie, d’une semaine, d’une journée, de quelques heures) ou encore stylistique quand l’auteur passe d’un genre à l’autre (récit, journal…).
Si cette prédilection pour les variations et variétés souligne une tendance chez Jude Stéfan à vouloir être un écrivain « total » dans la tradition française, on peut aussi y voir une volonté ferme de ne pas se laisser enfermer dans quelque analyse hâtive. Ainsi, à la suite d’une série d’entretiens très éclairants sur sa biographie et sur son rapport à l’écriture, l’auteur publie dans Variété VI, une lettre coléreuse, dans laquelle il fait le procès de la critique littéraire, si peu adaptée d’après lui à la compréhension d’une singularité. En outre, dans une autre lettre pleine de compassion et d’ironie qu’il adresse à son double, l’écrivain rappelle que si son œuvre échappe aux autres, elle échappe également à son auteur.
Scènes dernières, Histoires de vie-mort Champ Vallon, 115 pages, 85 FF
Variété VI Le Temps qu’il fait, 184 pages,110 FF
Domaine français de variétés en partitions
février 1996 | Le Matricule des Anges n°15
| par
Marie-Laure Picot
Des livres
de variétés en partitions
Par
Marie-Laure Picot
Le Matricule des Anges n°15
, février 1996.