Antoine Emaz, dont Deyrolle a publié cet hiver Entre, écrit une poésie bornée. Et la qualifier ainsi signifie qu’elle répète en elle ce qui ne cesse de l’assaillir, et de la marquer : quelque chose insiste et fait retour en elle, parce qu’en face, dehors, il y a des choses qui font obstacle, quelque chose qui nous empêche de passer d’un point à un autre sans qu’il y ait un heurt, ou un incessant va-et-vient entre deux bornes. Chez Antoine Emaz, depuis Poèmes en miettes (Tarabuste), En Deçà (Fourbis) ou C’est (Deyrolle), ce sont des choses simples, jetées devant nous (ce peut être une boucherie, des carcasses de bêtes, des carreaux de cuisine, un mur, etc), qui tachent le regard et ne le lâchent plus, creusent dans le corps, réveillent la nuit, hantent la mémoire. Avec Fond d’œil cette expérience singulière, qui relève aussi de la fine naïveté de l’idiot du village, continue d’affermir le poème, de faire sa tension sourdre et de se porter vers ce qu’Antoine Emaz ignore toujours d’elle. Retourner inlassablement à cet instant où tout semble se réduire, de la pièce où nous vivons aux meubles qui nous entourent, aux bruits que l’on entend, à « Un mur sans porte ni fenêtre dans la mémoire », c’est, dans cette poésie-là, « Continuer. Longer. », creuser les mêmes questions : « jusqu’où//cette attente/vive/à vivre ». Dans ce recueil de six poèmes une issue pourtant se dessine : mais ce « bien sûr on ira de l’avant », qui pousse à continuer, ne s’ouvre que dans un face-à-face dont on ne sort pas. On peut penser aux dernières pages de L’Innommable de Beckett. Pas de leurre ou de croyance qui viendrait nous délivrer. Les choses restent là-bas des masses épaisses qui arrêtent nos yeux : « Il y a peut-être comme une boucherie/à mettre devant les yeux/en face des yeux/avant de voir/le reste/qui reste », « On ne sait quel pays bouge rouge/au fond de l’œil », ou encore « On ne voit pas ce qui insiste.//Pourtant, c’est dans le rouge ». Tenir dans "ce battement assourdi&qu
Fond d’œil
Antoine Emaz
Théodore Balmoral
(5, rue Neuve-Tudelle, 45 100 Orléans)
41 pages, 65 FF
Poésie Si rouge le rouge...
septembre 1995 | Le Matricule des Anges n°13
| par
Emmanuel Laugier
Un livre
Si rouge le rouge...
Par
Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°13
, septembre 1995.