Le regard enfoncé, les arcades saillantes, le visage étroit, effilé, répondant aux questions après un moment de silence, pesant ses mots et essayant d’y faire entrer l’expérience qu’il a de la poésie, c’est à Montrouge, dans un carré de jardin, que Nicolas Pesquès a parlé de son attachement à la colline de Juliau (Ardèche), de son admiration pour Jacques Dupin (Cf. Balises pour J. Dupin, Fourbis, 1994), André du Bouchet, Gilles Aillaud, Dominique Fourcade ou Spinoza, le tout jusqu’à la nuit en sirotant un fameux Pouilly fumé ! Suivre le trajet de ce styliste, de Incarnation le simple (éd. du Limon, 1991) à Un Carré de 25 poèmes d’herbe (éd. du Limon, 1992), pousse à revenir au premier livre, La Face nord de Juliau (André Dimanche, 1988), « l’épine dorsale » précise-t-il. On y trouve le souci qu’a Nicolas Pesquès de retourner au motif, comme le fit Cézanne avec la montagne Sainte-Victoire, d’écrire le dérobement incessant de la colline de Juliau, d’inscrire dans les mots son calque en négatif. D’un côté, il y a dans cette œuvre l’exigence d’une méthode capable d’interroger la présence fulgurante des choses, de l’autre, avec L’Intégrale des chemins (André Dimanche, 1993) par exemple, l’expression brute et convulsive de ce qui fait violence en nous. De l’une à l’autre, il s’agit toujours d’un entretien infini avec l’inconnu qui est devant soi. Son dernier recueil, en trois livres -Trois Poèmes, 1. No w here, 2. Bouquet, 3. Histégé, s’y emploie plus que jamais.
Nicolas Pesquès, vous avez publié votre premier livre de poèmes, La Face nord de Juliau, à 42 ans. Comment la poésie s’est-elle imposée à vous ?
Ce sont des événements de ma vie qui m’ont amené à écrire. Ce vécu trouva alors son équivalent dans la poésie, mais de façon assez hasardeuse. L’écriture est d’abord apparue comme une sorte de thérapie, puis j’ai continué à travailler pendant dix ans sans jamais rien montrer. Quelque chose est resté, une pratique de l’écriture dégagée de l’intime, de l’autobiographie.
Justement, La Face Nord de Juliau est un livre dans lequel vous portez de façon obsessionnelle toute votre attention à une colline…
D’abord, il faut préciser que Juliau est là par hasard, uniquement parce que je suis originaire de l’Ardèche et que j’y ai passé du temps. Juliau est un motif : c’est la transposition en littérature de ce que fit Cézanne en peignant la montagne Sainte-Victoire. Interroger la face nord de Juliau, de façon presque méthodique, en dessinant le contour incernable de cette colline (il y aura d’autres livres sur Juliau) c’est pour moi revenir constamment à la question du langage, à la relation qui se crée entre moi et la chose qui me fait face. Ce qui est en jeu c’est le lien entre le regard, la chose et sa diction. La chose est dans tous les cas insaisissable. Savoir si c’est un morceau de bois ou une montagne dont je parle et qui est celui qui parle est tout à fait négligeable. Retourner à cette colline c’est pour moi...
Entretiens L’écart à bout portant
septembre 1995 | Le Matricule des Anges n°13
| par
Emmanuel Laugier
Louis-René des Forêts et Bernard Noël furent les premiers lecteurs attentifs des livres de Nicolas Pesquès. Rencontre avec un poète d’une extrême rigueur…
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