Leonid Andreïev est né en 1871 au cœur de la vieille Russie à Orel. Ce pacifiste acharné, qui a paradoxalement condamné le régime tsariste et la dictature bolchevique, commence seulement à sortir de l’oubli après plus de 70 ans de silence. Il fut pourtant l’un des témoins les plus importants de la vie culturelle et politique de la Russie du début du siècle. Si sa production théâtrale jugée blasphématoire et immorale par le régime tsariste a été censurée, Leonid Andreïev n’en reste pas moins l’auteur d’une supplique reprise dans le monde entier et adressée en 1919 à l’Europe et aux Etats-Unis afin d’enrayer l’expansion du bolchevisme. Immortalisé comme l’un des pionniers de la photographie couleur dans un superbe album co-signé par Olga Andreyev Carlisle et Richard Davies aux éditions Adam Biro en 1989, Les destins de Leonid Andreyev, le portraitiste qu’il était sur le papier glacé savait également tracer, d’un verbe singulier et précis, les contours particuliers des personnages au destin tragique qui peuplent ses nouvelles. Parmi celles, inégales, qui viennent d’être traduites et publiées chez Phébus, on peut saluer pour quelques-unes d’entre elles, le réalisme morbide et la crauté empreinte d’ironie formidablement rendus par une plume juste et incisive.
C’était, la nouvelle la plus réussie du recueil, contient à elle seule tous les ingrédients qui composent l’œuvre de l’auteur. Le cynisme du matérialisme triomphant incarné par un marchand bouffi des années de prospérité côtoie l’enthousiasme et la bonhomie religieux d’un diacre jovial et bienfaisant. Atteints d’une maladie incurable, les deux hommes vont vivre leurs dernières heures côte à côte dans une chambre d’hôpital, comme si l’intention de l’écrivain était ici de dénoncer à la fois la décadence du régime autocratique composé de petits bourgeois soucieux de leur bien-être et le mirage d’une mystique sans salut. Seule la mort n’est pas illusion, et son évocation hante la majeure partie des écrits d’Andreïev. Chaque nouvelle a son cadavre, comme une vision annonciatrice de ce que sera la Russie à la fin de la vie de l’auteur et même après.
Le Mensonge
Leonid Andreïev
traduit du russe par Serge Persky
et Teodor de Wyzewa
Phébus
218 pages, 125 FF
Domaine étranger Les deuils d’Andreïev
décembre 1994 | Le Matricule des Anges n°10
| par
Delphine Auger
Un livre
Les deuils d’Andreïev
Par
Delphine Auger
Le Matricule des Anges n°10
, décembre 1994.