Présenter un bilan de sa vie à 25 ans, voilà qui peut paraître prétentieux ! C’est pourtant ce que propose Roland Martin à son jeune héros Jean-Marc dans son dernier roman Le Fils interdit.
Cependant on avale bien vite sa critique car on est agréablement surpris dès les premières lignes par le style peu conventionnel de cette écriture qui évite les méandres stylistiques propres au genre « souvenirs de jeunesse ». Ici on plonge d’un trait dans l’univers du jeune homme.
On sait gré aussi au narrateur de se faire discret sur lui-même et de s’attacher avec générosité à la description des personnes qu’il a jadis connues ou qu’il retrouve à l’occasion de cette mise au clair de son passé.
De Jean-Marc, d’ailleurs on sait peu de choses, mais on le devine sensible, de cette extrême sensibilité des enfants meurtris qui donne le regard pointu et l’oreille aiguisée devant le monde. On le sent adolescent transi d’impuissance à se révolter devant ses parents - bouffons de la modernité - qui l’ignorent superbement. Car si l’on n’existe qu’à travers le regard des autres, Jean-Marc est alors bien transparent tant son passage sur terre semble avoir peu affecté son entourage. Normal donc, qu’à la lecture, l’image du narrateur apparaisse bien floue par rapport à la peinture détaillée et pleine de vie des siens.
Mais plus que le propos, au demeurant fort banal d’un fils qui fait le procès de sa famille et d’un homme qui conte ses amours et ses amitiés, c’est donc le style de Roland Martin qui nous conduit à lire ce livre jusqu’au bout avec plaisir. Sa langue est en effet très imagée, les métaphores, litotes, néologismes et autres circonlocutions sont de règle et contribuent à rendre l’ensemble coloré et animé : « Le Goebbels des lessives s’était dit retenu à Paris par un marché publicitaire de cent millions. Quant au cousin, il avait demandé le droit d’asile au barreau. Nous n’étions que trois : moi, mon ex-mère et le sècheron de six pieds de haut. Depuis le dîner-viol je l’appelais Moustache. Elle portait deux virgules de poils au dessus de la bouche. »
L’auteur affiche un réel talent de portraitiste et de metteur en scène. Ses mots donnent la vie et ses phrases le mouvement à la vie. On n’oubliera pas de sitôt sœur Tisane, la nourrice « toute en rotondités » à qui le narrateur voue un amour qualifié de « détournement d’Œdipe » par son psy, ni le regard -déjà- perdu de Véro, la sœur « étrangère à son départ pour le demi-foyer qui l’attendait » lors de de la scène, fort drôle du reste, du déménagement des parents.
L’humour, témoin du recul que le jeune homme a pris par rapport à son passé, est un autre atout de ce roman. On rit souvent, les jeux de mots aidant à regarder s’agiter tout ce petit monde. On se promène décontracté, tantôt devant des caricatures féroces mais burlesques - on est parfois proche du cinéma de Jacques Tati, de Mon Oncle notamment-, tantôt devant les tableaux tendres et poétiques des figures aimées.
Si l’écriture peu académique nous enchante, il n’en est pas de même de la structure du roman qui reste classique, chaque chapitre renvoyant soit à un épisode ancien soit à une rencontre actuelle. Cette construction systématique sans surprise lasse le lecteur et on a l’impression sur le dernier tiers du livre de visiter une galerie de portraits sans fin. Ce n’est qu’in extremis que l’auteur redonne cohérence et vie à son personnage et le place sur les rails d’un nouveau départ.
Le Fils interdit
Roland Martin
Editions SPM
231 pages, 120 FF
Domaine français Les parents terribles
décembre 1994 | Le Matricule des Anges n°6
| par
Christine Koziura
Roland Martin nous livre un fils interdit qui s’autorise bien des libertés de style… Portrait de famille avec le burlesque et la tendresse comme aînés.
Un livre
Les parents terribles
Par
Christine Koziura
Le Matricule des Anges n°6
, décembre 1994.