Lorsque un roman produit sur le lecteur, presque simultanément, l’esquisse d’un franc sourire, un regard grave, un désaccord sur un détail -cette connivence en fait-, le pari de l’auteur est à demi-gagné. Avec Les Vagualâmes, texte que l’on pourrait qualifier d’initiatique, Sandro Veronesi, auteur italien né en 1959 et pour la première fois traduit en France*, a réussi ce périlleux exercice. L’histoire, celle de Mèté, jeune ténébreux romantique tout droit sorti des scénarii felliniens, n’a rien pourtant de très originale ; malgré tout Veronesi séduit autant par sa liberté de ton, la truculence des situations, ses transgressions futiles et savoureuses, que la sagacité de sa trame. Comme un jeune homme issu d’un milieu aisé, Mèté réunit toutes les conditions pour mener une existence douce et libre. Malgré quelques tracas -saignement de nez au moindre effort, interférence continuelle des programmes de Radio-Vatican dans son téléphone-, il consacre du bon temps à sa passion, la graphologie. Mèté n’a pas un appétit social dévorant d’autant que la connaissance de cette science lui fournit un gain de temps appréciable pour mesurer la valeur de ses relations. Le résultat lui est appétissant. Pendant 150 pages, confronté aux préoccupations de cette vie ordinaire -désaccord sur le remariage de son père, combat pour la gratuité du théâtre, pulsions sexuelles inavouées- Veronesi nous envoûte tel un conteur impénitent sur ces petits riens, ces petits gestes, ces petites formules que l’on prend plaisir à relire et annoter le long de la marge (à ce sujet, l’agonie d’une tortue est terrifiante). Mèté grogne, Veronesi interprète, en rajoute. Sur son enfance, on ne sait pas grand chose, seulement qu’ « à l’âge de onze ans, (il) avait échangé un ballon de compétition en cuir, flambant neuf et assorti de l’attirail nécessaire à son gonflage, contre la carabine à plombs Flobert d’un de ses camarades de classe ».
Mais voilà, l’auteur a choisi le rebondissement, un point d’ancrage, pour défier son héros, en la personne de sa demi-sœur Belinda, 17 ans, avec cette voix, « cette douce, caramélisée, blonde voix de gorge, qui semblait être passée au travers d’une éponge imbibée de lait ». Son père parti en voyage de noces, Mèté doit donc accueillir chez lui la fille de sa nouvelle femme. Présence malsaine, attirance refoulée par l’interdit, lent enchevêtrement de vie commune : la lecture s’emballe, devient plus sérieuse, plus réfléchie laissant derrière l’épaisseur de certains épisodes romanesques, le pauvre Mèté à ses propres tourments. Peut-être que certains pourraient tenir rigueur à l’auteur d’abandonner presque subitement cette écriture primesautière, sa douce ironie désinvolte de la première partie pour s’intéresser ensuite aux seules angoisses existentielles (j’y vais, j’y vais pas, que penser ?) de son personnage principal. Assurément, Veronesi a choisi de mener à terme cette tentative de désagrégation. Sans moralité mais armé d’un puissant sentiment de délectation. Partagé.
*Dans son N°20, la revue Le Serpent à Plumes a publié une de ses nouvelles.
Les Vagualâmes
Sandro Veronesi
Traduit de l’italien
par Michel Breitman
Robert Laffont
313 pages, 129 FF
Domaine étranger Grise romance à Rome
avril 1993 | Le Matricule des Anges n°4
| par
Philippe Savary
Dans un décor tout fellinien, Sandro Veronesi conduit sa plume, drôlatique et fièvreuse dans le Rome des années quatre-vingt dix. Il reste encore de jolies tranches de vie à filmer.
Un livre
Grise romance à Rome
Par
Philippe Savary
Le Matricule des Anges n°4
, avril 1993.