Est-ce le tutoiement, est-ce l’imparfait des verbes, est-ce le rythme lancinant de l’écriture qui fait que l’on sort troublé et ému de la lecture de Cantique des Plaines ? Sans pathos mais avec lyrisme, la narratrice du roman de Nancy Huston écrit un long adieu à son grand-père, Paddon, qui vient de mourir. Une oraison funèbre qui marie le ciel et la terre, l’Histoire des hommes et les souvenirs de l’enfance, les traces d’un journal intime et les convictions d’une petite-fille.
L’écriture est un exorcisme. Tutoyer ainsi l’être cher, disparu, c’est lui offrir une nouvelle existence, c’est ériger un mythe à sa mesure, c’est aussi aviver la mémoire et la porter au regard des autres.
Le cantique déroule ses phrases, longues phrases qui rejettent le point final, cette petite mort, ce néant insignifiant où s’est éteint Paddon le grand-père. Écrire, parler, c’est donner la vie, c’est prêter une autre existence à celui qui n’est plus, le tutoiement implique la présence, l’imparfait ne condamne pas l’avenir.
Mais cette vie mythifiée ne serait rien se elle ne témoignait pas d’un siècle où les massacres sur le continent européen succédaient au génocide indien. Nous sommes en Alberta dans le Canada d’aujourd’hui et Paddon, personnage à la John Huston, découvre à travers sa maîtresse les cicatrices d’un peuple exterminé. La charge contre les missionnaires chrétiens est violente, la révolte qui en découle est aussi un exutoire.
Que Nancy Huston parvienne ainsi à nous révolter autant qu’à nous émouvoir voilà qui prouve la force de son talent.
Cantique des Plaines
Nancy Huston
Actes Sud/Léméac
271 pages, 128 F
Domaine français In memoriam
avril 1993 | Le Matricule des Anges n°4
| par
Thierry Guichard
Un livre
In memoriam
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°4
, avril 1993.