Modifier le cours de l’Histoire, changer les récits, les pouvoirs politiques aiment à le pratiquer. Les autocrates plus que les autres. Trump, Poutine, Xi Jinping, Netanyahu…, les staliniens et les nazis passant toujours pour des orfèvres en la matière. Ces derniers ont entre autres pillé, détourné archives, collections ethnographiques qu’ils ont soit valorisées, soit effacées, détruites pour promouvoir leur soi-disant race aryenne. Qu’avaient-ils à voir avec ce dictionnaire yámana-anglais d’un peuple de Patagonie, aujourd’hui totalement disparu ? C’est un missionnaire, Thomas Bridges (1842-1898), qui s’était entiché de cette civilisation, l’avait rédigé avec passion, surlignant avec créativité et précision extrême la beauté de cette langue, morte. C’est un linguiste allemand, Ferdinand Hestermann (1878-1959), qui avait réussi à le sauver de la convoitise nationale-socialiste.
Michael Hugentobler, né à Zurich en 1975, à la fois grand voyageur, journaliste indépendant et romancier, est tombé par hasard sur cette histoire. En reconnectant la réalité à la fiction, alternant les époques, en va-et-vient, passant d’un continent à l’autre, il nous plonge dans l’intimité de ses deux personnages, tout en jonglant avec le visible et l’invisible. En aventurier d’une arche perdue, invitant à son festin nocturne le Blaise Cendras de L’Or, le Joseph Conrad d’Au cœur des ténèbres, le Jules Verne des Enfants du capitaine Grant, il délivre ici une très enlevée et contemporaine parabole. « Il aurait aimé s’approcher, abaisser la poignée de la portière, s’asseoir sur la banquette arrière et se laisser embarquer pour une vie inconnue, non pas en tant que Ferdinand Hestermann, mais plutôt sous la forme d’un pou ou d’une puce, blotti dans le capitonnage, invisible, indécelable, mais réceptif à tous les comportements de ces espèces étrangères. »
Comment vous êtes-vous intéressé à ce dictionnaire ?
En 2001, j’étais à Quito et j’ai appris l’espagnol. J’ai voyagé en bus à travers l’Équateur, le Pérou et la Bolivie jusqu’en Argentine qui s’enfonçait dans une crise économique. J’ai vécu à Buenos Aires pendant quelques mois. Quand l’été est arrivé, il faisait très chaud, j’ai quitté la ville vers le sud. Il n’y avait plus de bus en Patagonie et j’ai continué en stop. Un homme âgé m’a emmené dans sa vieille voiture endommagée dont les phares ne fonctionnaient pas. À la tombée de la nuit, nous avons campé au bord de la route et là, dans la nuit, j’ai entendu l’histoire du dictionnaire pour la première fois.
Ce dictionnaire, vous l’avez décortiqué, lu et relu. Pouvez-vous donner vos impressions ?
La fascination pour cette langue si colorée et riche en facettes. Plus tard, j’ai lu un livre de Bruce Chatwin sur la Patagonie et j’ai réalisé qu’il avait été tout aussi fasciné par ce dictionnaire. Cette langue m’a semblé si logique. Par exemple, le fait qu’il y ait un mot qui signifie à la fois « fermer la bouche » et « nager sous...
Entretiens Mots de fin
avril 2025 | Le Matricule des Anges n°262
| par
Dominique Aussenac
Avec Terres de feu, l’écrivain suisse Michael Hugentobler enquête sur un dictionnaire, de la Patagonie à la vieille Europe. Un roman épique, mystérieux, très humain.
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