La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Domaine français Entre faille et force

septembre 2024 | Le Matricule des Anges n°256 | par Richard Blin

En décrivant la vie d’un immeuble fictif au fil des saisons de confinement, Gwenaëlle Aubry invite à mesurer ce qui, dans l’expérience de l’excès, peut devenir tremplin vers l’ailleurs.

Si Gwenaëlle Aubry refuse, littérairement, de s’enfermer en un lieu ou une formule – aucun de ses livres ne ressemble à un autre –, c’est que ce qui préside à leur écriture relève de la rencontre avec ce qu’elle appelle des « instants de foudre » ou de faille, un moment ou quelque chose de l’ordre de l’excès vient rompre l’ordinaire de la vie ou la remettre en question. « Mes livres sont nés de ces instants. Ils se sont écrits à partir d’eux, mais aussi contre eux : contre le silence, contre la sidération », nous dit-elle dans La Lettre absente (éditions du Nid-de-pie), un essai regroupant articles et conférences consacrés aux dynamiques qui portent sa poétique romanesque.
Dans Zone base vie, son nouveau livre, tout part justement de la sidération provoquée par l’allocution du président de la République, le 16 mars 2020 : « Nous sommes en guerre » ; « L’ennemi est là, invisible, insaisissable, qui progresse. » Vingt et une minutes de discours, et des millions de vies qui basculent. Faisant de cette expérience inédite la source de son roman, Gwenaëlle Aubry nous fait revivre le temps de cette pandémie à travers les réactions et le comportement de huit habitants d’un immeuble parisien, à savoir une petite fille, un éminent helléniste, un fondateur de start-up virant au complotisme, une étudiante, une famille bourgeoise, un couple attendant son premier enfant. Ils n’ont rien en commun, sinon à inventer comment vivre le hors norme qu’impose le confinement.
Placé sous l’égide de La Vie mode d’emploi, de Georges Perec (depuis la citation placée en épigraphe, en passant par l’adresse de l’immeuble, 11 rue Winckler, du nom de l’alter ego de Perec dans W ou le souvenir d’enfance, et jusqu’à toute une série d’objets empruntés au 11 rue Simon-Crubellier, l’immeuble de La Vie mode d’emploi), ce roman-fresque qu’est Zone base vie – un titre évoquant les conteneurs abritant les hommes travaillant sur les chantiers de construction – est une façon de questionner nos modes d’emploi du corps et de la vie à travers un ensemble de personnages confrontés au descellement de leurs habitudes et à un monde où l’exception est devenue l’ordinaire. C’est ce dérèglement total du rapport intérieur/extérieur que l’auteure nous donne à vivre par l’intermédiaire d’un simultanéisme à la Dos Passos (le livre se noue autour de cinq dates), et d’une attention toute particulière portée aux gestes comme aux objets, véritables relais de la mémoire autant que signes de présence ou emblèmes d’un imaginaire. Des objets, des souvenirs, des rêves manqués, des désirs en friche qui rompent l’unité de temps, ouvrent vers d’autres espaces, font éclater l’unité de lieu du livre en nous transportant en province, au Portugal, à Tanger, en Chine, à Abidjan ou encore en Angleterre. Ce qui crée un rythme alternant lenteur et vélocité autant qu’il scande quelques résonances entre des modes divergents d’emploi de la vie.
Elle a, Gwenaëlle Aubry, cette capacité à devenir personne, à pouvoir explorer des identités très différentes, à devenir chacun de ces corps affectés par le négatif, l’angoisse de l’inconnu, les distances de sécurité à respecter. Elle passe en eux, elle leur impose sa voix et sa pulsation propres pour mieux nous faire sentir la passion qu’ils mettent tous à aller au bout de ce qui les hante, et ce sur fond de journées comme électrisées par la tension entre la fixité, la vie qui persévère par-delà ce qui la menace, et l’élan, l’envie de porter la vie à son intensité maximale. Elle sait nous faire partager les instants arrêtés comme les instants souverains de la jouissance, nous faire ressentir le corps en tant que peau, que chair innervée, corps sexuel ouvert à la rencontre amoureuse, à sa puissance asociale et à son principe de métamorphose.
Résister aux puissances mortifères, vivre par-delà ce qui nous menace ou nous terrasse, ne pas accepter ce qui, dans la configuration du réel, est inacceptable, faire de ce que l’on vit une invention perpétuelle, c’est ce que chaque personnage, selon son âge et ce qu’il est, cherche à faire, tiraillé entre obéissance et rupture, éblouissement et fureur. Avec plus ou moins de réussite et avec des objectifs qui peuvent être diamétralement opposés. Actualiser des possibles, se réapproprier la puissance d’agir, juguler ce qui de l’Histoire revient en cauchemar, telle est la puissance libératrice à l’œuvre dans ce roman comme dans tous ceux de Gwenaëlle Aubry.

Richard Blin

De Gwenaëlle Aubry, Zone base vie,
Gallimard, 272 p., 21 , et La Lettre
absente
, Le Nid-de-pie, 144 p., 18

Entre faille et force Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°256 , septembre 2024.
LMDA papier n°256
7,30  / 8,30  (hors France)
LMDA PDF n°256
4,50