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Domaine français Les délices de Maurice

juillet 2024 | Le Matricule des Anges n°255 | par Martine Laval

Réédition de Métrobate, premier roman de l’auteur des Saisons. Entre critique de la bourgeoisie et humour tendre, un roman contre la grisaille.

Il a tout du dandy, du parfait dilettante, un rien précieux, un rien poète. Élégant dans son phrasé comme dans ses gestes. Séducteur et manipulateur de la plus belle espèce. Serait-ce un imposteur ? Il est sans âge, il parle « par images », raconte beaucoup « mais sans jamais qu’on sût rien de lui ». C’est à peine s’il a un nom, quant à son passé, c’est là toute la question. Il est le premier intellectuel à être reçu à la table de l’opulente maison des Rivière, à dire vrai, un château, avec domestiques et maître d’hôtel. Il sera pour les deux mois de l’été 1945 le professeur particulier du jeune fils de cette famille bourgeoise et inculte. Ce « il », magnifique personnage d’ambiguïté, est le nœud, le nerf, l’homme insaisissable de Métrobate, premier roman paru en 1951 de Maurice Pons (1925-2016), l’auteur des Saisons et des Virginales.
Tension et suspense ; sensualité exacerbée et même insensée ; retournement de situation ; narration chaloupée, insidieuse, perfide ; propos subversifs aujourd’hui encore d’une cuisante actualité… ce Métrobate est un bijou de perversité, d’intelligence politique tout en se parant des plus beaux atours de la littérature. Dans une postface hilarante datée de 1981, Maurice Pons révèle comment ce premier essai romanesque fut refusé par un prestigieux éditeur (René Julliard) parce que « trop court ». 62 pages ! Il en faudrait le double lui dit-on. Qu’à cela ne tienne, un an plus tard, le tout jeune écrivain lui remet « un manuscrit de cent vingt-quatre pages, dactylographié, découpé, rapiécé, recollé. (…) J’avais beaucoup travaillé à la colle et aux ciseaux. »
Métrobate avec son peu de pages s’attaque presque mine de rien mais avec maestro à la bêtise. Ce « petit » livre illumine avec malice la grisaille ambiante. Dans la famille Rivière, le père bougonne et gère les affaires, il eut pendant la guerre une attitude « assez neutre » ; la mère, elle, prend des airs de grande dame et regrette en douce la belle époque de la collaboration. Cet été-là, le fils, qui est aussi le narrateur, va passer de l’enfance à l’âge adulte : il va tout apprendre des belles-lettres et du genre humain dans toute sa splendeur, éveil à l’amitié, à l’amour, éveil au désir quel qu’il soit. Plus tard viendra le temps de l’hypocrisie et de la haine.
Adulé puis vilipendé, son professeur a le temps de fissurer le carcan idéologique familial, de lui offrir la beauté de textes immuables, la liberté d’être soi. Il le houspille : « Regardez-vous un peu : vous n’existez pas, vous êtes vide de tout, un vrai bibelot. Ah, je vous sens tellement fragile… » Quand le scandale va éclater, une sorte de purge d’après-guerre (mais pas pour les raisons que l’on pourrait trop facilement imaginer, suspense, suspense), quand le professeur sera chassé de la noble demeure escorté par la milice, un brassard tricolore au bras gauche, il restera au lecteur ses paroles d’une folle acuité, la dernière leçon du maître à l’élève : « Ne soyez pas comme ces salauds qui me jettent la pierre. (…) Ils ne me reprochent pas seulement ce que j’ai fait, ils me reprochent ce que je suis ; comment pourrais-je m’en défendre ?  » Et de renchérir : « Je ne suis pas fait comme eux. (…) Les hommes détestent ceux qui ne leur ressemblent pas. » Hélas.

Martine Laval

Métrobate
de Maurice Pons
Christian Bourgois, « Satellites », 136 pages, 7,80

Les délices de Maurice Par Martine Laval
Le Matricule des Anges n°255 , juillet 2024.
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