En ce temps où le maigre espace médiatique dédié à la littérature est constamment occupé par de soi-disant « transfuges de classe » (quoi que ce terme veuille dire), l’œuvre qu’un écrivain comme Marc Graciano construit avec une tranquille assurance depuis une dizaine d’années, sans se préoccuper d’un quelconque air du temps ou des modes passagères, s’est peu à peu imposée comme une valeur sûre et un efficace antidote aux vulgarités de l’époque.
Valeur sûre car la constance de son écriture, inébranlable, n’est pas la moindre de ses qualités. Après une douzaine de livres publiés, le lecteur sait exactement à quoi s’attendre quand il ouvre un livre de Graciano. Et ce qui pourrait être un défaut chez un écrivain au souffle court, est la garantie de l’approfondissement d’un univers complexe et subtil chez un auteur qui a fait de la phrase longue, de la phrase-livre, voire de la phrase-monde, sa marque de fabrique. Un styliste au meilleur sens du terme, celui d’une écriture travaillée, limpide, hors du temps et pourtant très vive, d’une langue qui, en faisant un pas de côté, se révèle d’une grande beauté et d’une rare expressivité. Une langue qui, parce qu’elle se réinvente dans un archaïsme qui ne prétend pas singer un passé fantasmé (erreur de tant de romans dits « historiques ») sait convoquer des images puissantes.
Le Moyen Âge qu’imagine l’auteur de livre en livre est très matériel, il est aussi invérifiable que palpable. Car abreuver la langue à la source de l’ancien français, c’est redonner à la langue la possibilité de dire les choses, de nommer les éléments du monde. D’autant que l’univers qu’il décrit (et Graciano décrit beaucoup, il ne fait presque que ça) est tout sauf virtuel, il est fait de gestes précis dont dépend la survie des personnages qui le peuplent, c’est un univers où le moindre ustensile, même le plus modeste, brille d’une force particulière, qu’il s’agisse d’une cruche où déposer les viscères du poisson qui vient d’être éventré ou d’une énorme « mense » en pierre qui pourrait remonter aux origines les plus païennes du monde. Car la technique humaine et un certain rapport magique au réel (dont la religion catholique, dans ses livres, n’est peut-être que le déguisement) sont entremêlés dans un tout inextricable. Il y a donc, discrètement mais d’autant plus efficacement, un certain rapport au merveilleux dans sa fiction ; un merveilleux naturel, comme « au moment de la pleine lune », qui « semble vêtir le monde de mystère et le peupler d’esprits ».
Publiant désormais chez deux éditeurs, des romans aux éditions du Tripode et des textes plus courts mais non moins remarquables aux éditions du Cadran Ligné, Graciano n’a de cesse de démontrer la vigueur de sa poétique. Dans Le Tombeau, il s’approprie une nouvelle fois la figure de Jeanne d’Arc, comme il l’avait fait dans Johanne, et choisit encore d’aborder par la bande la légende de ce personnage historique qui risquerait de se montrer trop encombrant. Cette...
Domaine français Le monde matériel
juin 2024 | Le Matricule des Anges n°254
| par
Guillaume Contré
Avec la publication conjointe de deux nouveaux livres, Marc Graciano poursuit avec talent un des projets les plus originaux de la littérature française contemporaine.
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