Marielle Macé, la grande ouverture
On pourra toujours mettre au crédit du Covid et de l’affligeante réponse qu’il lui a été faite (confinement, auto-autorisation de sortir, privation de la nature…) d’avoir permis à Marielle Macé d’écrire deux livres splendides : Une pluie d’oiseaux paru l’an dernier chez Corti et Respire qui sort aujourd’hui chez Verdier. Splendides parce qu’inépuisables tant ils ouvrent de voies dans la pensée, dans la bibliothèque et dans l’action. Il y a toujours une colère, forte et inépuisable, à l’origine de ses livres. Celle de vivre une époque où la vie est réduite (comme on dirait d’un vin qu’il est réduit), mise sous cloche, empêchée. Une vie formatée par la révolution industrielle, l’ultracapitalisme et une forme d’aveuglement consenti face à la catastrophe qui s’annonce. La colère peut couver sous divers foyers : la crise migratoire et la négation de l’autre (Sidérer, considérer) ou la réponse violente donnée aux alternatives de vies (Nos cabanes). Avec Une pluie d’oiseaux, il s’agissait de réagir à la disparition rapide, affolante, désespérante des oiseaux dans nos campagnes, dans nos villes. « En quinze ans près d’un tiers des oiseaux ont disparu des paysages (tous types d’environnements confondus). » Marielle Macé s’attache alors à les faire revenir telle un Orphée moderne, sinon dans nos arbres, du moins dans nos vies. Parcourant toute la bibliothèque mondiale et particulièrement la poésie, elle donne une présence forte aux volatiles qui nichent dans les livres, au point de nous intimer à la révolte face au massacre en cours.
Respire reprend le flambeau dans ce petit format (120 pages face aux 400 d’Une pluie d’oiseaux) qui dit l’urgence d’agir. « Ce livre vient de loin : d’un long passé dans la respiration. Il vient des paysages intoxiqués de ma naissance (…). Il parle d’aujourd’hui, de nos asphyxies et de nos grands besoins d’air, c’est-à-dire de l’irrespirable et de tout ce qu’il faut pour respirer. Et il veut soutenir cet espoir de souffle que l’on éprouve presque à neuf maintenant que l’expérience très intime quoique impersonnelle de la respiration a gagné une dimension de toute évidence politique. » De la colère à « cet espoir de souffle », le chemin que nous fait emprunter Marielle Macé tient de la déambulation enchantée balisée par une pensée toujours à l’affût. La forêt qu’on traverse est faite de livres (dont on sait désormais qu’ils accueillent des milliers d’oiseaux), de souvenirs (asthme de l’autrice, toux du père que les pesticides contenus dans les farines qu’il utilise intoxiquent), de combats (comme celui des femmes roms de Lille), de citations. Marielle Macé écrit comme une encyclopédiste qui serait poète, saisissant dans l’actualité récente (les asphyxies dues aux violences policières), dans l’histoire de la médecine, dans la linguistique, la grammaire, la psychanalyse les fils à nouer ensemble pour nous guider vers un possible plus lumineux, une douceur plus respirable. Car l’éthique de l’écrivaine se tient aussi...