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En grande surface Les corps caverneux

juin 2023 | Le Matricule des Anges n°244 | par Pierre Mondot

Inquiet sans doute du piètre état des nappes à la veille d’un énième été radieux, Pierre Michon rouvre les écluses et miracle, voici qu’à nouveau coule la Beune. Enfin, miracle. C’est parler vite. Ce retour bien sûr nous ravit mais. Comment dire. Difficile de contenir sa déception si l’on se remémore cette information parue dans Le Monde à l’été 2020  : l’auteur des Vies minuscules annonçait avoir achevé « un roman d’amour de plus de quatre cents pages ». Un texte « hypercontemporain », précisait-il, avec une partie de l’intrigue située en Chine mais chut je ne vous en dis pas plus. Et depuis trois ans, rien. Sinon aujourd’hui cette suite, La Petite Beune donc, qui vient doubler de quatre-vingts pages le cours d’eau originel. Assez loin de la crue annoncée. Par chance, les éditions Verdier compilent ces deux récits fluviaux sous le titre Les Deux Beune et proposent la paire au prix d’une seule. Sur le bandeau, la photographie d’une gravure du néolithique : trois fissures dans une roche évoquant un pubis pour un équivalent pariétal du plus célèbre tableau de Courbet. Car chacun s’en souvient, la première partie se déroulait « à deux pas de Lascaux » – et devait initialement s’intituler L’Origine du monde. Pour l’hypercontemporanéité, on repassera. Le narrateur, sorte de grand Meaulnes priapique, en pinçait pour Yvonne, la plantureuse buraliste de Castelnau, avec son décolleté, ses talons hauts et sa robe « insoulevable » (collection Marie Arnoux).
Ce désir perdure dans la deuxième saison. Les visions d’Yvonne « jetée » sur le flipper de l’auberge, « sequins tintant, linges ouverts, les jupes à la nuque, le chant aux lèvres », hantent encore le jeune instituteur. On retrouve intact le style parnassien de Michon, la prose impeccablement cadencée et ce mélange virtuose d’arabesque et de lapidaire, d’emphase et de cru, mais. Comment dire. Le lyrisme halieutique ne mord plus. Et l’érotique pas davantage. Du choc des oxymores jaillissent quelques étincelles, du souffle des métaphores s’élèvent çà et là des volutes, mais rien ne brûle. Lorsque la jeune femme consent enfin à écarter les pans de son manteau de fourrure, la chair reste verbe : « Elle me dégaina scandaleusement. Mon silex, mon sens. Elle murmura, mais c’était un cri : Sainte Vierge. Oui prends. Montre que tu prends. Dis que tu prends. Tu me pousseras mieux tes cris de fée. »
Dépassé, jugerait Ovidie. Et lourdement patriarcal. Le narrateur aurait dû « désexualiser » sa relation avec Yvonne. Ne pas en faire une proie, afin de canaliser « cette belle énergie dans l’art ou la révolution, dans des objectifs plus louables que celui de mettre une bite dans un trou. » Le conseil provient de son dernier ouvrage, La Chair est triste hélas, « un texte cathartique en écriture automatique » où elle explique les raisons de sa grève du sexe. Alors que son pseudonyme ne doit rien au poète latin (mais à un obscur personnage de bande dessinée – elle, c’est Éloïse), son parcours suit une trajectoire ovidienne : de la pornographie à l’exil, de l’Art d’aimer aux Tristes – l’exact inverse de Houellebecq.
Voilà donc quatre années que l’ancienne actrice a de son propre chef cessé de fréquenter les hommes. Sans regret. Surtout si elle repense « aux préparatifs douloureux à coups d’épilateur, aux pénétrations à rallonge, (…), aux cystites du lendemain et à la difficulté de trouver un médecin en urgence, aux mycoses parce que se laver les mains c’est trop leur demander, à l’alcalinité du sperme qui détruit la flore et aux vaginoses ». Mais qu’on ne vienne pas lui faire un procès en frigidité. Elle a participé (à des fins scientifiques) à « une sorte de marathon de la masturbation » au cours duquel elle a atteint « vingt-six fois l’orgasme en quatre heures ».
Le livre commence par un cruel réquisitoire contre les hommes : des coqs le jour mais la nuit des lapins. La diatribe est énoncée à la première personne du pluriel – nous les femmes – mais l’auteure paraît parfois s’exagérer son degré de représentativité : « Nous passons des heures à nous instruire, à lire livres et blogs, quand ce n’est pas à suivre des cours, pour exceller au lit ». Sa misandrie évacuée, elle convoque sa « psy » pour lui donner des leçons de féminisme. Mais reste confuse sur les raisons qui l’ont poussée à consulter : « un épuisement au travail qui m’a valu une chute accidentelle sur la tête, une nuit où je me suis encore une fois enfuie de mon lit ». L’essayiste confesse pour finir qu’elle a vécu jadis « une passion dévorante, presque hollywoodienne, avec Pacs puis déPacs, mariage puis divorce, et peut-être un remariage, qui sait ». Ce coin de phrase trahit des rêves de prince charmant encore tenaces et vient déconstruire à lui seul la totalité des revendications qui précèdent. On entrevoit soudain la midinette derrière la militante, Cartland sous le masque de Solanas et Éloïse dans l’ombre d’Ovidie.

Les corps caverneux Par Pierre Mondot
Le Matricule des Anges n°244 , juin 2023.
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