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En grande surface I want Ubac

février 2024 | Le Matricule des Anges n°250 | par Pierre Mondot

Au mois de novembre dernier, un sénateur issu du centre décomplexé verse en catimini quelques grammes d’ecstasy dans la coupe de champagne d’une amie députée avec l’espoir qu’elle se mélange les chambres. La manœuvre échoue et la dame porte plainte. Afin de justifier le geste de son client, l’avocat propose une circonstance atténuante : la veille des faits, son vieux chat venait de mourir. Presque la réponse d’Agnès à Arnolphe dans L’École des femmes. Pour le même effet : hilarité générale.
Le pays n’est pas prêt à considérer le deuil des animaux de compagnie. Le chien trépasse et la caravane continue. Mais le vent tourne sans doute, la parole peu à peu se libère. Le succès du livre – deux cent mille exemplaires écoulés – que Cédric Sapin-Defour vient de consacrer à son fidèle compagnon, Son odeur après la pluie, pourrait bien en être l’augure.
270 pages sur un chien : les spécistes radicaux jugeront l’hommage excessif. Pourtant, au regard de la place que les animaux prennent dans nos vies, le ratio peut paraître faible : au supermarché, la gondole des croquettes égale en longueur celle réservée aux livres. Les canidés, associés à l’humeur ou au temps qu’il fait, sont maltraités par la langue, mais disposent d’une niche honorable dans l’histoire littéraire. On se souvient d’Argos, le premier, chez Homère, crevant de joie au retour de son maître. Lequel, dans ce même passage énonce de sa parole ailée une distinction encore opérante : « (…) je voudrais savoir/s’il fut aussi rapide à la course que beau,/ou s’il fut simplement l’un de ces chiens de table/que leurs maîtres ne soignent que pour s’en orner. » Celui de Sapin-Defour, baptisé Ubac, de la race des bouviers bernois, campe à la frontière des deux catégories. Cousin du saint-bernard, il est loin de ces bichons que les influenceuses se greffent sous l’aisselle, mais possède une photogénie longtemps plébiscitée par le calendrier des Postes. L’éditeur, qui appose le portrait de la bestiole sur le bandeau de couverture, ne s’y est pas trompé.
Ce sujet, ce titre qui fleure le marketing, ce succès : nous voilà sur nos gardes, prêt à bondir, pareil au roquet guettant la tournée du facteur. Très vite pourtant, la sincérité de l’auteur vient balayer ces défiances initiales.
Cédric Sapin-Defour évite avec souplesse les deux principaux écueils qui menacent ce type de projet : la misanthropie (plus je connais les hommes…) et la mièvrerie (il ne lui manque que la parole). Il loue les exploits de cet « être prophylactique » (Ubac aide un escargot à traverser la route, prévoit à deux reprises un tremblement de terre, s’interpose lors d’une altercation avec deux chauffards enragés), mais son récit n’a rien d’une chanson de geste. Ubac n’est ni Rintintin ni Lassie. S’il fallait affilier le texte à un genre littéraire, on pencherait plutôt du côté du roman de formation. Du maître par le chien, qui l’« augmente » et le « rectifie ». Au contact de l’animal, l’écrivain se décharge d’un trop-plein d’humanité, se rééquilibre et modifie son assiette : il envisage l’existence d’un peu plus bas et s’essaie à la temporalité du bouvier : « C’est comme voyager de dos dans le train, on ne se résigne pas, rien n’est passif, les merveilles surgissent, l’on n’est jamais déçu. » Au fil des pages, l’auteur s’ouvre : la compagnie du chien l’entraîne à l’opposé du cynisme.
Cédric Sapin-Defour, « Pinpin » pour les intimes, ex-professeur d’éducation physique, réside dans le Beaufortain et n’avait jusqu’ici publié que des essais sur le thème de l’alpinisme. Tesson moins la frime. Car depuis Ubac, nul besoin d’Himalayas ou de panthères des neiges, l’aventure se tient au coin de la rue, comme dans ce square du centre-ville de Lyon où surgissent « la stratégie de l’araignée, les moucherons piégés, le bal des abeilles s’entichant des villes, la souris sprinteuse, les fourmis en formation, les chenilles en procession, les pinsons dragueurs, le hérisson gentrifié, les feuilles en tourbillon et d’autres profondeurs inaccessibles aux pas pressés, aux âmes blasées. »
Parfois la syntaxe se montre pataude (« Dans la nature où nous vivions inséparés d’elle »), le lyrisme convenu (« Aucun vétérinaire ne trouvera quoi faire, l’échographie ne voit rien de l’amour ») et le déclinisme facile (« bientôt les seuls chants d’oiseaux qui soulèveront notre oreille seront les arrivées de message sur nos écrans »). Mais c’est comme un filet de bave sur la joue, on s’essuie du revers de la main et il n’y paraît plus.
L’ouvrage refermé, nous vient l’envie de siffler son auteur pour lui flatter les flancs et murmurer à son oreille : c’est bien Pinpin, bon bouquin, ça.


Pierre Mondot

I want Ubac Par Pierre Mondot
Le Matricule des Anges n°250 , février 2024.
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