En Guyane française, sur les bords du fleuve Maroni au cœur de l’Amazonie, vit une population amérindienne, les Wayanas. Amérindienne, et française, donc. Et chez les Wayanas, les jeunes se suicident. Vingt fois plus que dans l’Hexagone. Par pendaison, principalement. Emmelyne Octavie, une jeune auteure-comédienne, née à Cayenne, a voulu rendre hommage à ces morts sous la forme d’une pièce de théâtre qu’elle qualifie elle-même de documentaire. Un texte qui met en scène cette jeunesse et ce petit morceau de France, « un des seuls endroits où des enfants, de jeunes adolescents, se réveillent au cœur de la nuit pour lever le soleil et arriver après des heures de pirogue, dans des classes où l’apprentissage n’est pas toujours simple. Trop éloigné, trop irréel. » Et c’est avec beaucoup de délicatesse, beaucoup de tendresse, qu’elles leur donnent la parole.
Yamalawa n’arrive pas à apprendre Le Marseillaise, comme il dit. Parce que ce n’est pas pour lui. Il ne comprend pas. « Booba oui. Le Marseillaise, non ! » Momoki chante Sur le pont d’Avignon, ce pont qu’elle ne connaît pas et sur lequel elle rêve d’aller danser, nue. Pour exister aux yeux de ceux qui l’ignorent. Pimo et Idi, deux jeunes sans emploi, font face à une journaliste et un caméraman venus faire un sujet pour une chaîne de télévision. Parce que tout de même, le gouvernement français a pris le problème à bras-le-corps et promis des congélateurs et le wi-fi. Des congélateurs alors qu’il n’y a pas de courant. Du wi-fi pour leur permettre d’entrer dans la modernité, quand ils sont victimes d’abord de l’alcool, de la drogue et des sectes évangélistes qui les séparent de leurs familles. Le texte est une suite de petites scènes, de petits dialogues entre ces jeunes habitants de villages numérotés 1, 2 ou 3, plus ou moins lointains. Il y a comme un abîme, un gouffre, entre leur culture, leur histoire, leurs traditions, et un enseignement qui voudrait en faire des petits Français comme les autres.
Certains, comme Misali, décident de jouer le jeu, étudient, intègrent le lycée de Cayenne, subissent et tentent de dépasser les plaisanteries et les brimades racistes : « Eh oh, l’indienne ! Mélissa ! Pocahontas ! Je t’ai demandé une feuille, putain ! T’es sourde en plus d’être indienne ? » Pour beaucoup d’autres, tout cela est trop difficile, inutile, violent aussi. Alors pour eux, ils restent la chaise. Cette chaise sur laquelle ils montent pour se pendre. Cette chaise restée vide, comme le souvenir du disparu, mais aussi comme une invitation peut-être à suivre le même chemin. Pourtant ils ont écrit à la ministre, ils ont exposé leurs problèmes, leur sentiment d’abandon, les ravages causés par le mercure des orpailleurs. Ils ont cru aux promesses. Mais la France est loin, les rapports ministériels s’entassent et rien n’est fait. Et les jeunes Wayanas se voient disparaître. « Bientôt on sera rayés de la carte de nos ancêtres / Et nous ne serons qu’une histoire ancienne / Une légende / Un mythe / Un conte non féérique / quelques pages banales dans un livre non écrit. » Alors qu’ils aiment la poésie, le rap, et se tiennent au courant des avancées et des changements du monde. Ils imaginent que les solutions existent et qu’elles ne sont peut-être pas si compliquées à mettre en œuvre. Mais qu’est-ce qu’un Wayana, ce mot qui n’existe même pas dans le dictionnaire, et qui désigne cependant le peuple premier sur les terres de Guyane ?
Par la douceur et la justesse de son propos, par son humour aussi, Emmelyne Octavie nous fait toucher du doigt l’impossible vie de ces enfants ballottés entre une tradition dont ils ne veulent plus et une modernité qui les rejette. Et c’est l’Esprit du Fleuve qui, pour terminer, implore le ciel pour qu’« il retire cette maudite chaise de la tête de nos enfants ». En 2022, cette pièce a été lauréate des Journées de Lyon des auteurs de théâtre, du Jamais Lu Caraïbe et du prix SACD de la dramaturgie francophone.
Patrick Gay-Bellile
À contre-courant, nos larmes !
Emmelyne Octavie
Lansman, 72 pages, 11 €
Théâtre Monter sur la chaise
avril 2023 | Le Matricule des Anges n°242
| par
Patrick Gay Bellile
Quand la mort semble être la seule solution offerte à une jeunesse abandonnée.
Un livre
Monter sur la chaise
Par
Patrick Gay Bellile
Le Matricule des Anges n°242
, avril 2023.