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Domaine français Baroque Orénoque

mars 2023 | Le Matricule des Anges n°241 | par Jérôme Delclos

Ample, profond, tempétueux mais aussi riche en reflets et trompe-l’œil comme le fleuve qu’il remonte, Orinoco, de Daniel Bourdon.

De très loin, lit-on qui ouvre le chapitre “La province fantôme”, des livres hèlent le lecteur, puis s’en saisissent, revendiquant frénétiquement une attention qu’on ne saurait donner à d’autres ». Et de fait il arrive que dans le torrent éditorial qui noie en continu les tables des libraires, on tombe, chanceux, sur une petite mais précieuse pépite. C’est Orinoco, d’un écrivain – dix titres – aussi rare que discret. Le bel objet dans sa robe jaune safran est orné d’un « Détail de la carte Rapide des Maypures, 1872-1876, de Frédéric Montolieu », et d’un sous-titre comme on les lisait en ces temps disparus où les livres n’étaient pas collés, mais bien cousus comme l’est encore celui-ci (et disons-le de fil blanc) : « Relation de la conquête de la très longue et aventureuse conquête de l’Orénoque dont la source resta cachée jusqu’au milieu du siècle qui précéda le nôtre. Par Daniel Bourdon. À Fontfroide chez Fata Morgana, MM. XX. III. ». Une obsédante rêverie de papier, tout droit sortie de l’enfance, celle de la lecture de Jules Verne et plus encore de ce jeu grave et solitaire, auquel nous avons tous joué, que l’incipit nous rappelle. « L’enfant qui marche sur le trottoir dallé de grès ou de granite regarde soigneusement le sol pour éviter de poser le pied sur un des joints. » La scène primitive : Daniel Bourdon, sur cette « immense marelle » de son jeune âge, a lu naguère sur la fonte d’une bouche d’égout le nom de « Norinco (…) celui d’une ancienne fonderie, sise à Méru, dans l’Oise ». « Mais, ajoute-t-il, contre toute évidence j’ai toujours lu, et continue de lire : Orinoco. (…) et le fleuve, peu à peu, et insensiblement, se transformait en une contrée littéraire dont les pages qui suivent tentent de rendre compte »
Après quoi l’on s’enfonce dans le vert et, irradiant de son giron, dans les mille bras de « l’or du fleuve », ses eaux mythiques qui à partir de Colomb « véhiculent des guerriers, puis des religieux, puis des marchands, puis des ermites, puis des agriculteurs, puis des savants, des cartographes, des curieux, des ingénieurs, puis des mélancoliques, puis des rêveurs, puis des lecteurs ». Au fond, toujours plus ou moins des lecteurs. Lecteurs des courants que ces aventuriers naviguent, et de livres et de cartes. Cherchant la cité perdue d’« El Dorado », ou un Éden où leur errance finirait, ou la source primordiale, début de l’eau et terme du périple si tant est que l’un comme l’autre existent : l’Orénoque est un labyrinthe baroque à l’échelle du monde, et comme lui sans limites.
Mais les expéditionnaires sont peut-être surtout en quête, et c’est la beauté du livre de le donner à voir et de façon pudique, d’autre chose de plus intime, de secret même pour eux. On ne sait jamais si c’est Dieu, la gloire, l’aventure, mais l’on pressent que ce pourrait bien être le remède ou salut qui les guérirait de la maladie de toujours devoir remonter le fleuve. Et ce mal incurable dont Bourdon s’avoue atteint, mais sous sa forme littéraire qui n’est pas la moins fiévreuse, s’exacerbe dès la Conquête par la mélancolie, les miasmes, mais aussi des livres à lire et à écrire. Ou à rêver, comme l’atteste en fin d’Orinoco sa bibliographie. Cinquante titres, la plupart en espagnol. Relations de terribles voyages, d’expéditions désastreuses, monographies savantes ou délirantes rédigées sur le vif par les conquistadors, soldats de fortune, « guerriers admirables, féroces, machiavéliques, déments », lettrés en haillons recrachés par l’Espagne ou le Portugal, égarés de la Croix et furieux de l’épée, et que cite et que célèbre Bourdon qui nous en montre par surplus, sublimes, les scrupuleux relevés topographiques de l’Orénoque.
Au fil de l’eau de la lecture, on se trouve emporté, ainsi que très intrigué. L’épilogue fournira une clé bien forgée, et la bibliographie, à la scruter dans les détails, sa minuscule serrure ouvragée : qui donc, à qui l’on doit «  La Casa perdida, editorial Orfeo, 1968 », est ce « William Luis Gadda » que l’on recherchera mais en pure perte sur la Toile ? Orinoco, à l’évidence, fait de Bourdon tout à la fois l’héritier de William Shakespeare pour ses royautés défaites, de Jorge Luis Borges pour ses dédales intertextuels, et du génial orfèvre Carlo Emilio Gadda pour son baroquisme. Le grand art, et non sans malice.

Jérôme Delclos

Orinoco
Daniel Bourdon
Fata Morgana, 127 pages, 23

Baroque Orénoque Par Jérôme Delclos
Le Matricule des Anges n°241 , mars 2023.
LMDA PDF n°241
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