Florian Préclaire, l’auteur de ce très beau premier roman écrit à hauteur d’homme, d’amour et de guerre, est universitaire. Il travaille principalement sur Marie-Hélène Lafon, Laurent Mauvignier, Pierre Michon ou encore Jean Rouaud. Pas sûr qu’on puisse le rattacher à l’un ou l’autre de ces écrivains ; en revanche il partage avec eux un intérêt évident pour la notion de traces. Préclaire, ici, part sur celles de son grand-père maternel qu’il n’a pas connu, un militaire de carrière. Son livre s’attache à reconstituer le parcours, à travers ses différentes affectations, de cet aïeul qui portait, bien dissimulée sous son uniforme, une sourde mélancolie. C’est sous la neige et la canonnade que René-Frantz, ledit ancêtre alors lieutenant, nous apparaît. La séquence d’ouverture est une scène de la Grande Guerre qui donne à voir un homme blessé et frigorifié dans la terre boueuse, de sang et de viscères mêlés. À plus de cent ans de distance, son petit-fils commence par l’imaginer là, sur ce champ de bataille ; voilà l’homme qui sera au cœur d’une enquête qui relève autant de la recherche documentaire que du portrait fantasmé quand, bien sûr, les pièces du puzzle biographique viennent à manquer.
Cette blessure de guerre que René-Frantz Préclaire (1896-1975) contracte à la jambe en 1917, c’est l’Histoire majuscule qui s’inscrit dans sa chair. À jamais la claudication sera là, « saccade désagréable » à certaines des femmes qui se hasarderont au bras de l’élégant éclopé. Une boiterie qui ne l’empêchera toutefois pas de poursuivre, grade après grade, sa carrière sous les drapeaux, ni de monter à cheval. Entre l’homme et l’animal, il y a comme une relation magique. Annoncé par le titre, le motif équin reviendra souvent dans ce roman. Passent d’une façon ou d’une autre des silhouettes chevalines, là sous la forme d’une monture de l’armée qui ne se fait docile qu’au contact de René-Frantz, ici représentées à travers un carrousel tout de bois ornementé, ou ailleurs, plus métaphoriquement, pour dire la puissance des moteurs qui font avancer les chars d’assaut, nouvelles bêtes qui crachent la mort au cœur de la Seconde Guerre désormais mécanique. Le grand-père de l’auteur commandera, en 1945, un centre d’instruction de l’arme blindée à Saumur. Un lieu qui abrite une écurie d’où il lui plaît de s’échapper en rêve ou non, à dos de canasson, pour des promenades improvisées, moments de véritables communions entre le cavalier et sa bête : « Tu serres ta poitrine contre son dos jusqu’à ce que vos pulsations s’accordent. Tes jambes s’enfoncent dans ses flancs et peu à peu elles s’y engloutissent et disparaissent. Vos veines se suturent. Le cou et la tête du cheval s’amalgament avec les tiens dans un enchevêtrement de muscles, de tendons et d’os humains et chevalins. »
Souvent, comme dans ce passage, Préclaire s’adresse directement à son grand-père, ce tutoiement entre l’auteur et son personnage renforçant un peu plus encore l’irrésistible familiarité que le lecteur ressent pour cet homme dont l’histoire est, par ailleurs, inséparable de celle de la vicomtesse Marie-Thérèse Cauvet de Blanchonval. Son épouse, son inextinguible passion amoureuse. D’elle aussi Préclaire esquisse le portrait, moins fouillé mais pas moins touchant, s’étonnant de ce lignage aristocratique dont il ne reste rien aujourd’hui. « J’ignorais tout de Marie-Thérèse et de toi mais par des chemins détournés vous êtes venus jusqu’à moi. Des visions me traversent. Vos vies disparues demeurent sous la forme de fragments profondément incrustés sous mon crâne. » Toujours, dans le secret poussiéreux de carnets ou de photos miraculeusement conservés, l’histoire des familles réserve des surprises. Maigre viatique que ces papiers jaunis qui traversent le temps non pour éclater dans ces pages comme un obus, mais pour éclore lentement par la grâce d’une écriture très délicate, à ce point ciselée qu’elle flirte parfois, sans nous déplaire aucunement, avec une certaine préciosité. Comme si ce raffinement avait vocation, par son exigence même de précision, à contenir la tentation du lyrisme. Florian Préclaire signe le roman d’une mémoire familiale sinon retrouvée du moins réinventée.
Anthony Dufraisse
Le Cavalier de Saumur
Florian Préclaire
Actes Sud, 165 pages, 19 €
Domaine français Album de famille
mars 2023 | Le Matricule des Anges n°241
| par
Anthony Dufraisse
Avec Le Cavalier de Saumur, l’évocation romancée, par Florian Préclaire, de son grand-père militaire. émouvant.
Un livre
Album de famille
Par
Anthony Dufraisse
Le Matricule des Anges n°241
, mars 2023.