À catalogue décloisonné, domicile partagé. À Nantes, quartier Joffre, Bouclard éditions est installé dans un espace de coworking voué aux métiers du livre. Sans Shérif, c’est son nom, compte une vingtaine de résidents (illustrateurs, correcteurs, auteurs…). « Le travail collectif, c’est un peu notre ADN. » Pas faux. Car à l’origine de l’aventure, en 2018, il y a une revue. Richement illustrée et documentée. Déjà une autre manière de faire. On y lit avec profit des reportages sur les rites oulipiens, sur une bibliothèque du paranormal, un portrait du poète-boxeur Arthur Cravan… De la revue naissent des rencontres et des projets.
Ils sont trois à tenir boutique. Trois profils différents, qui composent l’identité de Bouclard. Curieux de tout, Benjamin Reverdy a travaillé dans le secteur musical, après une formation de journaliste. Quoi de plus naturel pour un fils de gendarme d’aimer la non-fiction et l’enquête. Clément Le Priol a suivi un master d’édition (avec un mémoire consacré à la NRF). C’est le bibliophile de la bande. Thierry Fétiveau, lui, a une culture visuelle. Diplômé d’une école d’art, il dessine des typographies, comme Andersen, « une police de caractères idéale pour se raconter des histoires ». Ce qui les réunit ? La passion de l’objet-livre, son graphisme, ses papiers, sa fabrication. Le trio a d’ailleurs lancé Yokna, une agence de design éditorial. À les écouter, « et sans prétention aucune », ils regretteraient même de ne pas pouvoir imprimer. Et leurs goûts littéraires ? « À géométrie variable », mais Hunter S. Thompson, Gay Talese ou Joan Didion, fers de lance du journalisme narratif, les rassemblent. « La littérature, on la vit, on ne la conceptualise pas. »
Autant producteur de livres qu’éditeur, Bouclard s’affranchit des frontières. Et s’amuse – autre ADN – à défricher, à expérimenter. Là, La Recherche de Proust revisitée en chaises, ici une Carte hydrographique de la littérature, des voix oubliées, mais aussi de jeunes auteurs. La collection « 109 » (pour sang neuf), qui prend de l’épaisseur, est le refuge d’épopées minuscules et attachantes. On y dérive beaucoup (avec fantaisie). L’air y est souvent vivifiant. Tel Les Cicatrisés de Saint-Sauvignac écrit à huit mains (un chapitre par tête), ou encore Les Watères du château du troublant Guillaume Marie (lire p. 26). Le tout dernier ? Un premier roman énervé de la Québécoise Rosalie Roy-Boucher, Alice marche sur Fabrice, qu’une peine de cœur jette sur les chemins de Compostelle. Bouclard, à l’écart, groupé, en toute liberté.
Bouclard éditions est née d’une revue, elle-même lancée par un collectif, Carré cousu collé. L’histoire éditoriale récente ne manque pas d’exemples, pensons à Inculte, Le Nouvel Attila, Monsieur Toussaint Louverture. Quel rôle joue la revue ? En quoi est-elle une sorte de manifeste ?
Le manifeste on l’a écrit dans des bouclards nantais autour de bonnes bouteilles de vin. Au tout début il y a effectivement une dizaine de...
Éditeur Au bon plaisir
janvier 2023 | Le Matricule des Anges n°239
| par
Philippe Savary
Inventives, les jeunes éditions Bouclard (boutique en argot) publient ce qu’elles aiment : des curiosités littéraires. Avec grand soin.
Un éditeur