Dans Le Camp des autres (2017), Thomas Vinau met en scène un jeune garçon, Gaspard, qui s’enfuit de chez lui avec son bâtard de chien. Il vient de se débarrasser de son père et envisage de vivre dans la forêt sauvage. Le Récit des gouffres pourrait être le livre d’avant Le Camp des autres, d’avant la fuite de Gaspard, comme il pourrait faire suite à Fin de saison (2020) et se dérouler après l’apocalypse qui y est annoncée. Dans Le Récit des gouffres, le narrateur (adolescent ou adulte ?) est seul, absolument seul. Il vit dans une anfractuosité minérale, grotte ou carrière, au fond d’un gouffre. Son père est parti depuis longtemps « parfois il s’en allait, comme un fauve blessé, et s’éclipsait plusieurs jours dans la forêt. Je savais alors que ma mission consistait à l’attendre, à m’occuper de l’âtre, du campement, et patiemment l’attendre. » Mais le temps de l’attente est fini, le père ne reviendra pas. Le fils, qui n’a vécu que dans ce gouffre, sans mère, sans quiconque d’autre que son père, va devoir partir, affronter l’extérieur, la forêt. Voilà pour le récit, la fiction, anémiques au possible, comme si le poète Vinau avait rongé la chair avec laquelle le romancier Thomas explore ses propres obsessions. Pas d’artifices sinon le postulat de départ : un garçon, élevé selon les règles d’un père qui serait l’un des rares survivants d’une apocalypse ou le plus frappadingue des survivalistes, se retrouve seul au monde et dans l’ignorance absolue de ce qui constitue ce monde qui l’entoure. Il n’a que des fragments d’une cosmogonie inventée par son géniteur avec des morceaux de mythologies hérités du monde ancien (celui d’avant la catastrophe, si elle a eu lieu). Il a aussi un poème d’Emily Dickinson et quelques pages d’un journal tenu par sa mère, où à travers le temps, elle s’adresse à lui. Des mots avec lesquels le narrateur va commencer à bâtir le récit qui lui permettra de s’en sortir, de sortir de son trou.
C’est un livre âpre que ce Récit des gouffres, d’une radicalité dont on sent, finalement, l’extrême nécessité. Rien de funeste cependant, car plus on avance dans le livre plus on comprend qu’il est aussi une sorte d’hymne à la littérature et à l’affranchissement, en même temps qu’il est, plus intimement, le chant final d’un impossible deuil.
T.G.
Le Récit des gouffres
Thomas Vinau
Le Castor astral, 138 pages, 14 €
Dossier
Thomas Vinau
Les mots pour flambeaux
novembre 2022 | Le Matricule des Anges n°238
| par
Thierry Guichard
Récit initiatique sombre et organique, le nouveau livre de Thomas Vinau est une manière de se confronter à son propre trou noir.
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