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Domaine français La faim du monde

novembre 2022 | Le Matricule des Anges n°238 | par Anthony Dufraisse

Le reporter Jean-Paul Mari court la planète depuis des décennies. En la racontant, il se raconte aussi.

Il y a bien des années, de passage au Nouvel Obs pour visiter un confrère, on l’avait aperçu en coup de vent dans un couloir de la rédaction, belle tête romaine : Jean-Paul Mari est de longue date une signature reconnue du service étranger de l’hebdomadaire. Sans doute était-il alors en partance pour l’un ou l’autre de ces coins de « la planète souffrante » où l’on se tire dessus sans sommation et où l’on s’étripe au nom de Dieu ou d’une quelconque raison d’État. Algérie, Brésil, Liban, Israël, Rwanda, Thaïlande, Koweït… combien de zones de conflits a-t-il couvertes en quatre décennies ? Beaucoup. Sur combien de théâtre d’opérations, ici une guerre déclarée, là un affrontement larvé, a-t-il écrit à cœur ouvert, comme on le dit d’une opération ? Tant et tant. Dans ce livre, le reporter-écrivain se livre. Partage ses états d’âme de globe-trotter et surtout ses réflexions sur le monde d’hier et d’aujourd’hui comme il va, c’est-à-dire, le plus souvent, comme il ne va pas.
D’abord promis à une carrière de soignant, il a quitté sa blouse de kiné pour endosser la casaque du témoin sur le terrain, carnet en main. Mais écrire encore et encore, raconter l’insoutenable ou l’intolérable, rapporter ce qu’il a vu n’est pas, à la longue, sans dommage. Cela laisse des traces, des séquelles psychologiques que Jean-Paul Mari ne cache pas. S’il les expose, ce n’est pas fièrement, comme peut-être certains le font de leurs cicatrices, mais parce qu’elles font partie de lui, disent son côté sombre ; « saoul de noirceur », écrit-il à un moment. Et c’est précisément pour ne pas sombrer que le journaliste revient aussi, pour le mettre en mots, sur le traumatisme fondateur que fut l’arrachement, un jour de 1962, à son Algérie natale. L’assassinat de son père : scène primitive de la nuit qui entre en lui. « Il m’a fallu longtemps pour accepter l’idée que je ne pouvais pas couvrir l’histoire contemporaine de l’Algérie sans fouiller son passé, celui de la guerre d’indépendance et, par là même, celui de mon enfance. » Exercice d’exorcisme, cette évocation court tout au long du livre car Jean-Paul Mari, hanté, ne saurait oublier cette blessure, sauf à vouloir perdre tout un pan de son identité. Cette jeunesse au-delà de la Méditerranée, ce passé algérien et algérois, c’est une plaie qu’il gratte, une éternelle démangeaison. Il faut y voir l’entrée par effraction de l’Histoire dans son histoire. C’est cette première relation tragique au monde qui est à l’origine de sa vocation de grand reporter : « explorer la douleur et la violence du monde ». Comme le furet, le journaliste court, court, passé ici et repassant par là, notamment dans les années 80-90 : « De Beyrouth à Tel-Aviv, de Damas à Bagdad, de Santiago du Chili à La Havane, de Bangkok à Shanghai, d’Asmara à Johannesburg, de Port-au-Prince à Nouméa. Et jusqu’à Irkousk. Et bientôt (…) de l’Algérie à la Bosnie et au Rwanda ». Frénésie de reportages : la bougeotte comme religion, l’immobilité comme hérésie.
Être au plus près des événements du temps présent vaut bien sûr à Jean-Paul Mari de croiser d’inoubliables figures. De ces rencontres mémorables, cet ouvrage porte aussi témoignage. Hommage est rendu, entre autres, à Chico Mendes, à Rachid Mimouni mais également à nombre de ces anonymes SDF, dans nos rues, sous nos fenêtres (celles de la rédaction de L’Obs, par exemple…) ou aux migrants montés à bord de l’Aquarius. Couvrir et courir l’actualité pour découvrir l’autre – beaucoup –, et se découvrir soi – un peu –, telle est la quête de tout grand reporter. À la fois lecture du monde et introspection, Oublier la nuit superpose des époques et des obsessions qui tantôt se font écho, tantôt s’entrechoquent. Jean-Paul Mari s’y raconte tout en ravivant les souvenirs de ce qui est plus qu’un métier : une condition d’être. Dans son regard, le monde n’est pas un patient qu’on peut soulager, comme sur la table du kiné, mais un incurable malade qu’il faut sans fin écouter.

Anthony Dufraisse

Oublier la nuit
Jean-Paul Mari
Buchet-Chastel, 270 pages, 18

La faim du monde Par Anthony Dufraisse
Le Matricule des Anges n°238 , novembre 2022.
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