On s’attendait à trouver, au bout d’un jardin borné de broussailles, une rivière idéale pour les après-midi farniente par ce temps caniculaire d’octobre : « Serviette par terre, tomates et jambon cru. J’ai rapporté du pain frais du village, un melon et deux bouteilles de vin blanc sec » (Ici ça va). Mais le village où vit Thomas Vinau s’avère être un gros bourg de 20 000 habitants où sa maison se cache entre l’ancienne gendarmerie et une grande surface spécialisée en matériaux, au bout d’un chemin étroit qui débouche sur un jardin, une terrasse où des jouets témoignent de la présence d’enfants, et sur un Thomas Vinau qui sourit.
On fait mine de vouloir tremper le bouchon pour taquiner les descendants des poissons oligocènes du Luberon dans la rivière de Ici ça va. Le roman de notre hôte évoque une double rénovation : celle d’une maison (en bas de laquelle, donc, coule une rivière) et celle plus intime du narrateur. « La maison de Ici ça va n’existe pas. En fait, c’est la synthèse de plusieurs maisons où j’ai vécu. La grand-mère d’Émilie, ma compagne, vivait ici. » Le couple s’y est installé il y a une quinzaine d’années, avant que le foyer s’agrandisse avec la venue de deux garçons, Gaspard, 13 ans et Joseph, 7 ans aujourd’hui. On sort les doigts de nos mains, on compte les années : quinze ans ôtés de 2022, ça donne pile-poil l’année du premier titre de Thomas Vinau : 100 voyages immobiles dans la collection « Ficelle » aux éditions de Vincent Rougier. Un livre comme une plaquette, un objet qui pèse peu, une manière de naître poète sans le crier sur les toits. En douceur.
Notre hôte n’est pas originaire de cette partie du Vaucluse située au pied du Luberon. Il naît en 1978 à Toulouse et n’arrive pas seul au monde. Thierry, son frère jumeau, l’accompagne. Les grands-parents maternels, d’anciens pieds-noirs rentrés d’Algérie dans les années 60, s’occupent d’une ferme du côté de Larrazet, dans le Tarn-et-Garonne qui sera importante plus tard pour les deux garçons. Côté paternel, on est ouvrier non loin de Toulouse. La mère des jumeaux fait des études de psycho qu’elle devra interrompre. Le père de Thomas est électromécanicien. On trouve dans Ici ça va des outils d’électricien, « deux transistors entièrement démontés ». Les objets dans les livres de Thomas Vinau ne sont pas seulement des natures mortes : ils disent une présence au monde en même temps qu’une absence impossible à combler. Car, alors que les jumeaux ont 3 ans, le père est emporté par un cancer foudroyant. Thomas a-t-il eu le temps seulement de se forger des souvenirs avec ce père mort à 27 ans ? « Un ou deux, que je ne crois pas avoir été fabriqués plus tard. Je vois mon père s’amuser à nous faire peur à mon frère et moi en surgissant de derrière une porte. » La paternité et la filiation : l’œuvre poétique ou romanesque de Thomas Vinau en a fait son terreau. On pense à deux de ses poèmes : « Toi / qui n’arrive pas / la pluie / qui ne tombe pas / les mots / qui ne...
Dossier
Thomas Vinau
Écrire, synonyme de respirer
D’une enfance marquée par la mort du père à la publication de ses poèmes et romans, la vie de Thomas Vinau ressemble à une traversée initiatique Du silence aux mots, de la nuit au jour. Et son dernier livre paru, une métaphore de cette vie.