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Domaine étranger L’amie retrouvée

septembre 2022 | Le Matricule des Anges n°236 | par Thierry Cecille

Dans une Bosnie que la guerre hante toujours, Lana Bastašić nous invite à suivre Sara en son Retour amont, sa reconquête d’un passé perdu.

Attraper le lapin

La mémoire est peut-être pour moi un lac gelé – opaque et glissant –, mais de temps en temps, une brèche fend la surface, et j’y plonge alors le bras, arrachant à l’eau glacée un détail, un souvenir. Seulement, les lacs gelés sont trompeurs. Parfois, on y pêche un poisson, d’autres fois, on passe à travers et on s’y noie. » Sara, la narratrice, a quitté sa Bosnie natale et vit à Dublin depuis de longues années ; traductrice, elle a aussi publié quelques recueils de poèmes. Elle forme avec Michaël, un universitaire, un couple qui dure. Seule ombre au tableau : leur voisin se promène nu et leur inflige « son imposant entrejambe ». Alors que Sara a tout fait pour laisser loin d’elle son passé, elle reçoit un appel de Lejla, son amie d’enfance, après douze ans de silence. Lejla lui demande de la rejoindre à Mostar et de l’accompagner à Vienne où retrouver son frère, Armin, disparu durant la guerre et miraculeusement réapparu.
Dès lors les chapitres, alternativement, racontent, d’une part, ce road movie quelque peu chaotique et, d’autre part, les épisodes marquants de l’enfance et de l’adolescence jadis partagées. Sara, ainsi forcée de retrouver ce dont elle pensait s’être débarrassée, ne cesse de balancer entre la colère et l’émotion, l’auto-apitoiement et l’auto-ironie. Face à Lejla, elle oscille sans cesse entre l’agacement et l’admiration. Lana Bastašić parvient à nous faire partager cette confusion des sentiments en donnant à sa narratrice une voix surprenante, alliant poésie et humour. Elle décrit ainsi les premiers mots échangés avec Lejla : « C’était comme reprendre de l’héroïne. Il avait suffi que je parle ma langue maternelle pour replonger ». Elle devine que ces retrouvailles vont la conduire à « mettre à nu sans égard (s)es cicatrices balkaniques ». La Bosnie ? « Je la sentais encore entre nous, comme si nous avions traversé un lit de cendres et de brûlures. On est toujours en Bosnie. Nous l’essaimons partout en Europe. Notre pays aux frontières irréconciliables est un fond sans limites. Nous nous sommes affrontés, chassés et entre-tués pour rien : nous n’avons jamais habité dans ce pays, c’est lui qui nous habite comme une démangeaison fantôme. Notre peau saigne d’être grattée vainement ». Lorsqu’elles parcourent le pays, iI semble qu’une sorte de nuit mystérieuse s’installe, très tôt dans la journée, et, même dans les villes, les habitants sont rares, de lentes silhouettes : « J’étais entourée par une armée de vieillards. Ils étaient courbés au point de toucher le sol. Certains s’arrêtaient en me voyant, apparemment plus habitués que moi à l’obscurité ».
Durant toutes ces années, Sara n’avait pu totalement oublier Lejla, elle lui empruntait, sans le vouloir, certaines attitudes ou certaines expressions : dans son exil, elle avait emporté « des petits bouts de Lejla, de minuscules insectes qui s’étaient glissés dans (s)on sac, au fond de (s)es poches et sous (s)es pantalons ». Peu à peu, dans ce va-et-vient entre le présent et le passé, se construit le portrait de Lejla, principale réussite du roman. Alors que Sara était plus âgée qu’elle de quelques mois, Lejla fut toujours en avance sur elle, accumulant les « victoires », excentrique et déterminée. Elle que les garçons regardaient comme si elle était « un dessert sophistiqué servi dans de la vaisselle inconnue » décida, par exemple, de perdre sa virginité le jour des résultats du bac – et entraîna Sara dans ce projet. De même, malgré les réticences de Sara, elle l’oblige à prendre la route, sans préciser davantage ce qui les attend à Vienne. C’est que l’énigme du destin de son frère Armin fut déjà, autrefois, la cause de la fin de leur amitié. Ce n’est que progressivement, là encore, que nous comprendrons pourquoi, grâce aux indices disséminés, jusqu’au dernier : Le Jeune Lièvre, gravure de Dürer à l’Albertina…

Thierry Cecille

Attraper le lapin
Lana Bastašić
Traduit du serbo-croate par Aleksandar Grujičić
Gaïa, 244 pages, 22,80

L’amie retrouvée Par Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°236 , septembre 2022.
LMDA PDF n°236
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