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Domaine français Le pays oublié

septembre 2022 | Le Matricule des Anges n°236 | par Emmanuelle Rodrigues

À travers l’évocation de son adolescence au Cambodge, Jane Sautière retrace les moments décisifs de son propre destin. Et met en lumière une part de l’histoire de ce pays meurtri.

Jane Sautière nous embarque ici dans un voyage de la remémoration qui nous saisit par sa grâce et sa gravité. Malgré la « faillite de la mémoire », et la honte liée au fait de vieillir, l’écrivaine n’en demeure pas moins toujours requise par « l’étonnement de ce qui survit ». De sa plume alerte, elle cisèle les plus justes formules pour évoquer tous ceux et celles qui telles des silhouettes lui font signe, alors que le temps a passé et que seul l’oubli subsiste comme « un point stable dans le vertige permanent ». L’auteure, qui a vécu quelques années de son adolescence, de 1967 à 1970, au Cambodge, n’a gardé que peu de souvenirs de cette période pourtant cruciale où elle se rend au lycée Descartes de Phnom Penh, fréquentant ainsi le microcosme d’expatriés français et quelques amis et camarades khmers. C’est du moins ce qu’elle croit, persuadée d’avoir bien plus de souvenirs de sa petite enfance en Iran, où elle est née en 1952. Elle s’en remet donc à sa mémoire sensorielle, composée de bribes, autant d’évocations fragmentaires qu’elle suscite « sans projet, sans censure, sans aucune perspective », si ce n’est de contrer la hantise de l’oubli. Se mettre en quête de ces « corps flottants » qui ont peuplé son existence, tandis qu’ils « demeurent présents et irréels », recouvrer là quelques traces, voilà comment « affronter le vieillissement, ce qui s’écroule pour chercher dans les formes imprescriptibles, originaires ». Écrire revient moins à relater des faits, qu’à « reconstituer, sans aucun personnage, reconstituer pour transcender l’oubli. Pas l’effacer, y plonger, aller plus avant, aller jusqu’au bout ».
Lorsque Jane Sautière revient en France pour y faire des études, elle se trouve en proie à ce qu’elle nomme sa « petite faillite personnelle ». Alors qu’elle a à peine 18 ans, sujette à des hallucinations, elle arpente alors « un espace apatride dans l’angoisse », et dit-elle, pour mieux souligner le désarroi d’alors : « J’ai folli, je ne suis pas devenue folle. » Lors d’une projection du film, Hiroshima mon amour, elle rencontre Marguerite Duras. La lecture de ses livres lui procure un sentiment de stupeur, et ajoute-t-elle, à propos de la romancière, « parfois je la hais, ce qui reste un signe d’amour, (…) comme si j’étais sortie de ses livres, une de ses héroïnes, fiction d’elle. » Du roman, Un barrage contre le Pacifique, elle retient « les liens des coloniaux entre eux et avec les Cambodgiens, figures d’un décor de la domination qui pourrait servir encore et toujours. Ce qu’elle énonce si bien. » Surtout, en lisant L’Amant, la voilà qui retrouve le Cambodge « doux et implacable, quelque chose qui aspire irrémédiablement. Le fleuve, bien sûr, le Mékong, l’eau épaisse de tout ce qu’elle dévore ». En mars 1970, après la prise du pouvoir par le nationaliste Lon Nol, « nous vivons dans un autre pays, la guerre arrive ». C’est donc le retour en France par bateau, la douleur se ravive, celle d’avoir déjà dû s’arracher à une terre d’adoption, comme ce fut le cas après avoir quitté l’Iran. Cette fois, la séparation se traduit aussi par l’éloignement d’avec P, jeune homme follement aimé. Le couple s’écrit nombre de lettres, et après des retrouvailles, se marie, mais « quelque chose s’était estompé, évaporé, terni ».
À la suite de ses études de droit, Jane travaille à partir de 1975 comme éducatrice pénitentiaire. Le Cambodge, elle n’a plus voulu y penser, précise-t-elle. Pourtant, grâce aux films de Rithy Panh, ainsi qu’à ses livres écrits en collaboration avec Christophe Bataille, ce qu’elle a connu du Cambodge finit par se « raccorder à une histoire plus vaste, décisive ». Celle de ce pays dont « un million et demi de personnes (soit près de 20 % de la population cambodgienne) sont mortes du fait des exécutions de masse », et de ces terribles années de la dictature des Khmers rouges, il lui faut comprendre la douleur ressentie de ne pas en avoir pris conscience alors. Et désormais, par l’élan poétique de ces pages denses et capitales, Jane Sautière a touché la terre sensible de ce qui n’est plus mais demeure.

Emmanuelle Rodrigues

Corps flottants
Jane Sautière
Verticales, 114 pages, 12,50

Le pays oublié Par Emmanuelle Rodrigues
Le Matricule des Anges n°236 , septembre 2022.
LMDA PDF n°236
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